La présence des Juifs en France est bimillénaire. L’histoire de leur rejet suit également un cours long et tumultueux, nourri de multiples ramifications. Cette suite d'articles a pour objectif de proposer une - modeste - synthèse de l’ensemble des enjeux et des clés de compréhension pour appréhender un phénomène aussi large que dense. Pour cela, Histoire d’en Parler vous propose une sorte de dictionnaire chronologique, qui vous permet de naviguer dans les eaux troubles de l’antisémitisme. Aujourd'hui, la première partie consacrée à l'antijudaïsme de l'Antiquité à l'Ancien Régime.
Antijudaïsme : il s'agit de l’hostilité à la religion juive. Si certains faits de haine envers les Hébreux et les Juifs ont pu exister durant l’Antiquité, l’attitude spécifique du rejet de la religion juive se développe à partir de la constitution de la doctrine et de l’hégémonie du christianisme dans l’Empire romain, au IVe siècle. En effet, les chrétiens se présentent comme le nouvel Israël, peuple choisi par Dieu, tandis que les Juifs sont maudits pour avoir rejeté et tué le Sauveur Jésus-Christ. Cette doctrine justifie les persécutions envers le peuple “déicide”, accusé d’avoir “tué Dieu” et d’être par essence “perfide”.
Archélaos Hérode : fils d’Hérode le Grand, ce monarque gouvernant des États en Judée, un territoire client de Rome, est poussé à l’exil en l’an 6 de notre ère par l’empereur Auguste. Il s’agit du premier Juif célèbre ayant vécu en Gaule.
Conciles de l’Antiquité tardive : à Vannes (465), Orléans (533, 538, 541), Clermont (535), les évêques se sont réunis pour prendre des décisions sur la foi et la discipline chrétiennes. Ce sont autant d’occasions de contraindre la vie collective des communautés juives (interdiction des repas en commun, interdiction des mariages mixtes, proscription de la célébration du shabbat…). Le concile d'Agde, organisé en 505, condamne les « Juifs perfides », une accusation marquant les relations entre le christianisme et le judaïsme, persistant dans les prières chrétiennes jusqu'au XXe siècle.
Dagobert Ier : le “bon roi Dagobert” est le souverain emblématique des baptêmes forcés et des conversions menées envers les Juifs par les évêques et les rois francs entre la fin du VIe siècle et le milieu du VIIe siècle. Dagobert Ier vise à appliquer des mesures d’uniformisation religieuse dans son royaume, sous peine d’expulsion pour les récalcitrants. À cette période, les papes ont pu représenter un contre-pouvoir, mettant en garde contre les baptêmes forcés.
Empire carolingien : le début de la période carolingienne représente une ère de tolérance et de prospérité pour les communautés juives. Certains de ses membres sont bien représentés dans les milieux intellectuels et diplomatiques, à l’image d’Isaac le Juif, envoyé par Charlemagne auprès du calife abbasside Hâroun ar-Rachîd. Les activités des négociants juifs sont préservées car ils représentent une interface entre la Chrétienté et l’Islam, d’autant plus après la conquête d’Al-Andalus par les Omeyyades.
Empoisonnements : les Juifs ont été régulièrement accusés d’avoir empoisonné des individus ou des infrastructures collectives. Ainsi, le médecin Sédécias est le principal suspect pour la mort du souverain Charles II le Chauve en 877. Les accusations d’empoisonnements de puits portant sur les Juifs conduisent à des massacres, à des pillages de leurs biens et à des spoliations. Ces théories se propagent particulièrement lors des grandes épidémies du XIVe siècle où des destructions et furies populaires ravagent des communautés entières.
Exactions pendant la première croisade : après l’an 1000, les idées antijudaïques prennent une vigueur alimentée par l’idée d’un complot visant à détruire le Saint-Sépulcre. Ces amalgames culminent avec les persécutions des Juifs pendant la première croisade en 1095-1096, notamment à Rouen et à Metz. Les croisades suivantes connaissent également des flambées de violences envers les communautés juives, dans des proportions moindres en raison de l’action de certains prédicateurs comme Bernard de Clairvaux.
Expulsions-spoliations du royaume : entre la fin du XIIe et la fin du XIVe siècle, les Juifs de France subissent des épisodes réguliers de confiscations de leurs biens et des mesures d’expulsion, s’expliquant principalement par l’opportunité de mettre la main sur les créances juives. Quelques jalons : Philippe Auguste prend un édit royal en 1182 forçant les Juifs à l’exil du domaine royal, avant de les rappeler en 1198 sous un statut très contraignant. Cent ans plus tard, le règne de Philippe le Bel est particulièrement sévère avec les Juifs, avec des taxes, expulsions, confiscations et arrestations, notamment avec l’édit d’expulsion de 1306. Se réfugiant dans les provinces proches, les communautés juives connaissent des allées et venues successives dans le royaume de France, jusqu’à leur expulsion “définitive” sous le règne de Charles VI en 1394.
Judensau : la métaphore animale de la “truie juive” désigne un motif visuel fréquent de l’art chrétien du Moyen Âge. Le porc étant considéré comme impur et soumis à un tabou alimentaire religieux, son association dans des reliefs, sculptures et peintures vise à humilier et exclure les Juifs. En France, il demeure trois motifs de ce type datant des XIIIe-XIVe siècles : sur les cathédrales de Metz et Strasbourg ainsi que sur la collégiale Saint-Martin de Colmar.
Juifs du pape : durant le XIVe siècle, les papes résident en Avignon et dans le Comtat Venaissin. Les politiques d’expulsions-spoliations menées par le royaume de France conduisent de nombreux Juifs à s’installer dans cette région pontificale, où ils sont d’abord mal accueillis (en 1322) avant d’être protégés (à partir de 1326) sous certaines conditions : paiement de taxes supplémentaires, port d’un vêtement distinctif, obligations religieuses…
Juiverie : au Moyen Âge, il s’agit d’un quartier habité par les Juifs. Cet espace n’est pas nécessairement imposé par la contrainte aux communautés juives mais répond à des considérations religieuses, sécuritaires ou fiscales. Aujourd’hui encore, près de 400 toponymes juifs jalonnent les rues de France.
Légende de sang : l’accusation de “meurtre rituel” est une allégation selon laquelle les Juifs pratiqueraient des infanticides pour des cérémoniels religieux. Ces accusations gagnent en ampleur au cours du XIIe siècle et jalonnent le XIIIe siècle. Elles conduisent à des exécutions de masse, par exemple à Blois en 1171 où une trentaine de Juifs est conduite sur le bûcher, ou encore à Troyes en 1288 où 15 membres d’une famille se sacrifient pour sauver les Juifs de la ville.
Massacre de la Saint-Valentin (1349) : à Strasbourg, le 14 février, environ 2 000 habitants juifs sont arrêtés puis brûlés vifs en raison de tensions sociales décuplées par la crainte de la peste noire. En conséquence, pour les quatre siècles suivants, les Juifs sont bannis de la ville de Strasbourg ; malgré les contraintes et contrairement au royaume de France, des communautés juives subsistent en milieu rural.
Procès du Talmud : en 1240, sous le règne de Louis IX, une disputation oppose des théologiens juifs et chrétiens à Paris, au sujet de l’un des textes fondamentaux du judaïsme. La polémique se conclut par la crémation de vingt-quatre chariots contenant un gros millier d’exemplaires du Talmud en place de Grève car le livre est jugé infâme. Cet autodafé en place publique est un épisode décisif dans le rejet des Juifs et de leur littérature.
Profanation d’hosties : pour l’Église catholique, l’hostie consacrée constitue le corps du Christ. Sa profanation représente un crime religieux particulièrement grave. Ainsi, des communautés juives furent accusées de voler ou de vouloir porter atteinte à des hosties, à l’exemple du récit du Miracle des Billettes en 1290.
Rouelle : petit anneau de tissu affiché sur le vêtement, dont le port est imposé aux Juifs au cours du XIIIe siècle dans l’Occident chrétien. Le quatrième concile du Latran, en 1215, recommande la généralisation du port de la rouelle. En France, entre le XIIIe et le XIVe, ce ne sont pas moins de douze conciles et neuf ordonnances royales qui prescrivent l’usage de la rouelle pour les hommes juifs, tandis que les femmes doivent porter un couvre-chef distinctif. Louis IX se montre particulièrement énergique dans sa volonté de “purifier” son royaume de la présence juive parmi ses sujets.
Usure : il s’agit d’un prêt à intérêt considéré comme excessif. La Torah interdit le prêt à intérêt contre son prochain, mais les principes du judaïsme l’autorisent envers l’étranger. Les Juifs, auxquels la plupart des métiers étaient interdits, se sont souvent orientés vers la finance et le crédit. Au cours des siècles, cet état de fait a alimenté de fortes tensions, alimentées par les débiteurs.
Variations de la condition des communautés juives subsistantes sur le territoire de la France actuelle : l’expulsion des Juifs du royaume de France en 1394 provoqua un afflux vers des provinces proches. Ainsi, pendant 400 ans, des communautés juives sont présentes en Alsace, au Comtat Venaissin, en Dauphiné, en Franche-Comté, en Lorraine, en Provence, en Savoie mais connaissent des discriminations et des fortunes diverses. Entre taxes spécifiques, accusations en tout genre et expulsions, l’époque moderne prolonge la condition subalterne des Juifs dans ces territoires. À partir de 1492, des Juifs fuyant la péninsule ibérique choisissent l’émigration dans le sud-ouest de la France. Au XVIIe siècle, certains Juifs européens s’installent aux Antilles françaises. Avec l’application du Code noir en 1685, les Juifs sont chassés des îles et ne demeurent en Martinique que de manière marginale.
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