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Les États généraux : une assemblée servant à débloquer des crises ?

Dernière mise à jour : il y a 3 jours

La démission de M. Sébastien Lecornu le 6 octobre 2025 n’a pas manqué d’entraîner des comparaisons historiques avec les gouvernements les plus éphémères des 233 années de la République française. En ces temps de blocage institutionnel ou tout du moins d’incertitude politique, certaines personnalités publiques font référence à des institutions plus anciennes encore. En effet, en octobre 2024 puis en septembre 2025, un collectif a publié une tribune demandant l’organisation « d’États généraux de la société française ». Selon les signataires de ce texte, « au cours des siècles, quand la France s’est trouvée dans l’impasse, les États généraux ont permis un nouvel élan collectif, invitant les citoyens à écrire ensemble l’avenir du pays ». Que l’on trouve l’idée séduisante ou anachronique, cette assemblée d’Ancien Régime convoquée de manière épisodique en quatre siècles suscite bien des fantasmes, en raison de sa dernière occurrence de 1789, amenant à la Révolution française. Ils sont organisés le plus souvent dans des circonstances de guerre, de crises de succession ou encore de troubles civils, religieux, ou financiers. Dans la société féodale, comment comprendre le sens, la portée et la fonction de ces consultations ? Quelles sont les modalités de fonctionnement et les évolutions de ce système de conseil et de validation du pouvoir royal à travers le temps ? Quels sont les prolongements politiques et symboliques de cette institution ?


Une institution féodale créée pour légitimer le pouvoir royal (1302-1356)


Les trois états de la société médiévale, Gilles de Rome, Bibliothèque nationale de France - département des Manuscrits, premier quart du XVe siècle.
Les trois états de la société médiévale, Gilles de Rome, Bibliothèque nationale de France - département des Manuscrits, premier quart du XVe siècle.

À partir du XIIIe siècle, la dynastie des Capétiens tend à affermir son pouvoir, largement émietté par l’instauration du système féodal. Avant d’entrer dans le vif du sujet sur la création des États généraux, il convient de comprendre la balance du pouvoir au Moyen Âge central. Dans la pyramide de liens de fidélité, le suzerain, à son sommet, protège ses vassaux et leurs fiefs en échange de l’obéissance et de services rendus, qu’ils soient militaires ou financiers. Cette même structuration se retrouve aux échelons inférieurs, ce qui rend les cartographies de la société médiévale particulièrement complexes. À cette période, la répartition sociale se structure de manière de plus en plus nette en trois ordres : les oratores (le clergé qui prie), les bellatores (les nobles qui font la guerre) et les laboratores (celles et ceux qui travaillent). Cette tripartition implique des rôles différents à chacun selon sa place dans la société, mais tend à évoluer sous l’effet conjoint de plusieurs facteurs. Grâce à leur prospérité, les bourgeois et marchands gagnent des privilèges et s’émancipent progressivement de certaines obligations au seigneur. Les évolutions de la guerre font que la chevalerie est reléguée à une fonction symbolique et les combattants de métier sont de plus en plus issus de compagnies de mercenaires ou de milices populaires. Par ailleurs, l’empiètement des droits entre les religieux et les laïcs est la source d’innombrables conflits. Pour résoudre ces tensions entre les trois ordres, à partir du XIIIe siècle, les seigneurs locaux organisent des assemblées représentatives, nommées états particuliers ou états provinciaux, pour consulter et recevoir l’appui de leurs sujets dans leurs décisions. Le principe de délibération collective se retrouve dans de nombreuses institutions depuis l’antique Gaule ; de nombreuses consultations existent de la période mérovingienne à Louis IX. Toutefois, les États généraux de Philippe IV se distinguent par leur simultanéité. En effet, au lieu de demander aide et conseil successivement aux corps constitués, aux territoires et aux membres de différents segments de la société, le roi décide de réunir des représentants féodaux et urbains en un même temps.


Philippe le Bel réunit les États généraux dans l’église Notre-Dame de Paris le 10 avril 1302, Auguste Vinchon, Assemblée nationale, 1843.
Philippe le Bel réunit les États généraux dans l’église Notre-Dame de Paris le 10 avril 1302, Auguste Vinchon, Assemblée nationale, 1843.

En 1302, Philippe IV fait réunir à Paris des seigneurs, des dignitaires ecclésiastiques et des représentants des bourgeois du royaume, dans le but d’approuver les actions du roi face au pape Boniface VIII et aux Flamands révoltés. Le roi cherche à recueillir leur avis et surtout leur accord pour la levée de nouveaux impôts, d’après le principe que les sujets du royaume sont libres. Les notables des trois ordres valident les agissements du roi dans son rejet de l’autorité papale et acceptent de consentir à de nouveaux subsides. Renforcé par le succès de cette initiative, Philippe IV réunit ponctuellement des assemblées particulières, mais aussi des États généraux dans le but de condamner puis de dissoudre l’Ordre du Temple, dans l'optique de lever la taille, un impôt direct sur l’ensemble du territoire. Par la suite, ses successeurs organisent également des rassemblements partiels (de nobles, de prélats, ou de citadins) pour assurer les questions de succession, pour lever des impôts ou pour valider telle entreprise militaire, mais il est délicat d’affirmer qu’il s’agit d’États généraux du royaume. La question du mode de désignation des représentants est aussi sujet à controverse. Sous Philippe IV, les membres des bourgeoisies urbaines sont choisis par leur niveau de richesse. Par la suite, seules certaines bonnes villes envoient des députés mais leur définition n’est pas stricte et figée. Si les trois ordres sont consultés formellement, il convient de préciser que la paysannerie et les classes sociales pauvres ne sont pas directement présentes et sont censées être représentées par les seigneurs. Les États généraux, dépourvus de pouvoir législatif, servent à valider - ou non - l’action du roi. Ils deviennent ainsi un lieu de négociation entre le souverain et ses sujets. Cependant, ces temps de réunion peuvent aussi traduire le rejet croissant de certaines élites envers les volontés du pouvoir monarchique, telles que les hausses d’impôts ou la reprise de la guerre contre l’Angleterre. Ainsi, dès le milieu du XIVe siècle, cette institution peut apparaître comme une résistance, un contre-pouvoir ou un catalyseur de la conflictualité politique.


Un lieu de cristallisation des contestations visant à résoudre des crises (1356-1484)


Des cas des nobles hommes et femmes, Boccace, Bibliothèque nationale de France - Manuscrits occidentaux, vers 1415.
Des cas des nobles hommes et femmes, Boccace, Bibliothèque nationale de France - Manuscrits occidentaux, vers 1415.

Le déclenchement de la Guerre de Cent Ans en 1337 met du temps avant de produire des effets négatifs sur le royaume de France. Les échecs catastrophiques successifs lors de la bataille navale de l’Écluse (1340), de la bataille de Crécy (1346) et de la prise de Calais (1347) fragilisent durement les finances, la légitimité et l’autorité de la Maison de Valois. Les années 1350 consacrent le dévissement monétaire, militaire et politique de la France et voient l’affirmation du rôle des États généraux. En 1355, le roi Jean II le Bon, contraint à de nouvelles levées d’impôts, voit les États de langue d’oïl exiger le contrôle de celles-ci par leurs propres agents et affirmer un droit de résistance face aux abus royaux. Ils dressent une grande réforme du système politique, la « grande ordonnance », encadrant le pouvoir royal et la gestion des finances publiques. Quelques semaines plus tard, les états généraux de langue d'oc à Toulouse imposent des conditions similaires au roi, de plus en plus acculé politiquement. Celui-ci se bat héroïquement lors de la bataille de Poitiers et parvient à restaurer le prestige de sa branche dynastique, malgré une nouvelle défaite aux conséquences désastreuses. Le roi est fait prisonnier, ce qui aiguise les ambitions de différentes factions réunies aux États généraux par le jeune dauphin Charles V. Chaque parti tente d’avancer ses pions, sous fond de suspicion généralisée de collusion avec l’ennemi anglais. En 1357-1358, sous l’impulsion du prévôt des marchands de Paris Étienne Marcel, les États généraux deviennent le principal instrument de contrôle de la monarchie. La conclusion par le roi Jean II d’un traité très défavorable à la France, la recherche de nouveaux subsides et la menace anglaise provoquent de puissantes révoltes populaires, urbaines et rurales (dont la Grande Jacquerie), ce qui fait vaciller le pouvoir royal. Elles sont impitoyablement réprimées par Charles de Navarre, qui joue double voire triple jeu. Il engage des mercenaires anglais et parvient à tuer dans l'œuf le soulèvement à Paris, débouchant sur une guerre froide avec le dauphin, ce qui met fin à la prétention des États généraux de devenir une institution régulière, pérenne et dominante. Les rois suivants préfèrent ainsi demander conseil à des États particuliers, afin d’éviter le risque de conflagration sociale et politique.


Étienne Marcel et les échevins rédigent la Charte de 1356, Fernand Cormon, Petit Palais, vers 1910.
Étienne Marcel et les échevins rédigent la Charte de 1356, Fernand Cormon, Petit Palais, vers 1910.

Pour autant, les développements de la Guerre de Cent Ans font que le recours aux États généraux redevient une nécessité dans les décennies suivantes. Ils poursuivent leur fonction de conseil, permettent de faire remonter les revendications des différentes provinces et servent à valider des reprises de la guerre. En 1413, dans le cadre de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, une nouvelle initiative vise à remettre les États généraux au centre d’une réforme administrative d’ampleur : il s’agit de l’ordonnance cabochienne, du nom d’un boucher parisien. Celle-ci est promulguée par le roi Charles VI, mais le soulèvement populaire contre les Bourguignons et les Cabochiens fait qu’elle est abandonnée, dans un contexte de grande violence. Le parti des Armagnacs prend l’ascendant pour un temps, mais le perd suite à la bataille d’Azincourt (1415) et à l’assassinat du duc Jean Ier de Bourgogne (1419). Dans ce contexte, les Bourguignons font alliance avec les Anglais, ce qui aboutit au traité de Troyes (1420), établissant la double monarchie franco-anglaise et déshéritant le dauphin Charles. Les États généraux sont convoqués pour enregistrer cette transmission de l’autorité royale. Parallèlement, le futur Charles VII, dans une position très précaire, tente de renverser cette décision par la poursuite de la guerre. Il réunit fréquemment des représentants des territoires demeurés fidèles, mais les levées de fonds et d’hommes pour la guerre ne manquent pas de provoquer des réticences voire des défections. En octobre 1428, le dauphin convoque les trois États du royaume à Chinon dans le but d’obtenir des renforts financiers et militaires pour mener la guerre dans le Gâtinais et l’Orléanais. Les négociations sont serrées mais permettent de lever des crédits et des bataillons décisifs dans la reconquête du royaume, rythmée par une jeune fille en armes venue des marches barroises. Avec le succès de cette entreprise, son sacre à Reims lui permet de bénéficier d’une confiance renouvelée de la part des députés réunis en 1430. À partir de cette date, le pouvoir de Charles VII est croissant. Ainsi, en 1439, il parvient à faire valider par les États généraux une aide de 100 000 francs pour la maintenance de la guerre, renouvelée tacitement et donnant naissance à un impôt permanent levé directement par le roi. Cela ne se fait pas sans contestation - avec l’éclatement de la Praguerie - mais traduit un affermissement du pouvoir royal.


Les trois ordres dans L'arbre des batailles, Honorat Bovet, Bibliothèque de l'Arsenal, XVe siècle.
Les trois ordres dans L'arbre des batailles, Honorat Bovet, Bibliothèque de l'Arsenal, XVe siècle.

Même si les combats de la Guerre de Cent Ans cessent au début des années 1450, celle-ci semble se poursuivre par contrecoups et dégénère en une instabilité politique persistante. Dans la décennie 1460, Le roi Louis XI fait face à l’hostilité constante de la noblesse, à laquelle il concède de nombreux avantages suite à la guerre de la Ligue du Bien Public (1465). En 1468, il convoque les États généraux à Tours dans l’objectif de reconstruire l’autorité, la stabilité et la sécurité du royaume. Le principal intérêt de ces États est la composition de ses membres : 64 circonscriptions envoient chacune un représentant de chaque ordre, élu localement dans les bailliages (dans le Nord) et sénéchaussées (dans l’Ouest et dans le Midi). Une quinzaine d’années plus tard, la mort du roi Louis XI ouvre une période d’incertitudes en raison de la minorité de Charles VIII. Les princes demandent une réunion des États généraux afin de trancher la question de la succession entre Anne, la fille de Louis XI, et Louis, héritier présomptif de Charles VIII. À Tours, les États généraux valident la position d’Anne, qui promet alors une convocation bien plus régulière (spoiler : non). Cette réunion se distingue par le fait d’unifier les régions de langue d’oïl et d’oc, avec 284 représentants issus de toutes les provinces, des trois ordres, de tous les corps sociaux, y compris de milieux paysans. On fait également remonter des doléances de tout le royaume dans des cahiers, qui formulent unanimement le rejet des augmentations d’impôts relevés par Louis XI. La réunion de 1484 est également retenue pour la formulation démocratique originale du sénéchal de Bourgogne Philippe Pot, exprimant que les députés aux États généraux sont « dépositaires de la volonté de tous » et que le pouvoir politique appartient au peuple. D’autres députés revendiquent le fait qu’en cas de vacance du trône, le pouvoir doit revenir aux États généraux. Pour l’heure, il est anachronique de parler d’assemblée nationale car si Anne de Beaujeu accorde des concessions fiscales pour apaiser les tensions, elle refuse d’associer les États au Conseil royal. Ainsi, ces États généraux illustrent à la fois le renforcement de l’autorité monarchique et l’émergence d’une représentation politique plus structurée, préfigurant les institutions de l’État moderne.


La tenue des États à Tours, Philippe de Commynes, Musée Dobrée de Nantes, XVe siècle.
La tenue des États à Tours, Philippe de Commynes, Musée Dobrée de Nantes, XVe siècle.

Une instance réclamée pour remédier aux troubles religieux et politiques (1484-1674)


Vingt ans plus tard, en 1506, Louis XII, successeur de Charles VIII, s’appuie sur une assemblée de notables réunie à Tours pour valider certaines orientations politiques. Ils sanctionnent le fait que la fille du roi, Claude, est fiancée à François d’Angoulême plutôt qu’à Charles de Habsbourg. Cette assemblée célèbre l’habileté diplomatique et fiscale du roi, lui décernant même le nom de Père du Peuple, pourtant peu couronné de succès militaire dans les guerres d’Italie. Néanmoins, il convient de relever que cette assemblée de notables diffère profondément des États généraux dans sa portée et son ambition : les membres qui la composent sont désignés par le roi, ils formulent des avis et non des remontées de doléances, et ils assurent une fonction de conseil. Ainsi, en 1527, son successeur François Ier demande l’avis à près de 200 représentants sur la manière de rompre le traité de Madrid mais cela n’est pas au sens strict un consentement à la reprise de la guerre ou à la levée des impôts. Les guerres d’Italie se poursuivent jusqu’en 1559, tandis que le royaume se trouve en posture de plus en plus fâcheuse, à la mort d’Henri II puis de François II. Les problèmes religieux et politiques internes de plus en plus béants font que le recours aux États généraux apparaît de plus en plus salutaire. Ceux-ci, convoqués à Orléans en 1560 par François II avant son décès, valident la régence de Catherine de Médicis. Chaque ordre siège alors séparément, dans l’idée d’éviter d’entretenir les contestations. La reine mère les réunit à nouveau quelques mois plus tard à Pontoise. Dans l’espoir de rétablir l’ordre et de combler le déficit, elle se heurte aux représentants qui dénoncent la gabegie du pouvoir royal et refusent les principales levées d’impôts. Le chancelier Michel de l’Hôpital tente de concilier les catholiques et les protestants et parvient à faire baisser le niveau de tension durant quelques mois, avant que les hostilités ne reprennent de plus belle dans les années qui suivent. Suite aux massacres de la Saint-Barthélemy (1572), l’idée d’encadrer le pouvoir royal par les États généraux se répand dans le champ intellectuel. Ainsi, dans l’ouvrage Franco-Gallia, le juriste François Hotman développe l’idée d’un contrat entre un gouvernement et ses sujets, et théorise le fait que les États généraux sont des représentants de l’utilité générale.


Henri III aux États généraux de Blois, Carmen de tristibus Galliae, Bibliothèque Municipale de Lyon, 1577.
Henri III aux États généraux de Blois, Carmen de tristibus Galliae, Bibliothèque Municipale de Lyon, 1577.

En 1576, face aux ravages de la guerre, les protestants réclament la convocation des États généraux dans l’optique de faire respecter le dernier édit de pacification promulgué par le roi Henri III. Celui-ci les réunit alors à Blois, mais ils sont quasi unanimement dominés par la Ligue catholique, dirigée par la famille de Guise. Les députés exigent le retour à l’unité de la foi, même par la force, et refusent de financer les projets du roi. Ce dernier rallie le parti de la Ligue et révoque l’édit accordé aux protestants, au grand dam du délégué et intellectuel Jean Bodin. Les négociations sur l’essentiel des dispositions financières et judiciaires échouent, laissant les députés divisés et amers. La situation empire en 1588, lorsque Henri III, affaibli par la « Journée des barricades », doit convoquer un nouveau rassemblement à Blois. Sous la pression de la Ligue, le roi signe l'édit d’Union, excluant tout prince protestant de la succession au trône (comprenez Henri de Navarre), accepte de révéler la composition de son Conseil, d’évoquer l’état des finances et de nommer Henri de Guise lieutenant général du royaume. Mais, las des exigences des députés et de leur refus de voter de nouveaux impôts, il fait assassiner le duc de Guise en décembre 1588 et réprime de nombreux représentants du tiers état et de la noblesse. Cet événement majeur, un des points culminants de la guerre des trois Henri, est suivi d’une période de violence qui aboutit au régicide de Henri III huit mois plus tard. Les États généraux de 1588-1589 marquent à la fois une volonté de profiter de l’affaiblissement royal et un moment de bascule dans le rapport de forces entre le pouvoir monarchique, la Ligue et les représentants des trois ordres. En effet, comme le note le député du Nivernais Guy Coquille, le recours aux États généraux n’est pas nécessairement opposé à la monarchie absolue et à la concentration du pouvoir entre les mains du souverain, si cela permet d'apaiser la situation globale. Il les théorise comme un moment d'ébullition permettant de mieux faire descendre la température par la suite. Dans les années qui suivent, de nombreux partisans réclament la tenue de nouveaux États généraux visant à trancher la question de la succession d'Henri III, afin de choisir un roi catholique et capétien. Ils sont convoqués en 1593 à Paris par le lieutenant général ligueur Charles de Mayenne. Toutefois, la conversion d’Henri IV et le soutien du Parlement de Paris, qui rappelle la légitimité de sa succession, affaiblissent la position des députés. Divisés, ils finissent par se séparer sans autre résultat que l’entérinement des décrets du Concile de Trente.


Les états généraux réunis par Louis XIII, Jean Alaux, Château de Versailles, 1841.
Les états généraux réunis par Louis XIII, Jean Alaux, Château de Versailles, 1841.

Durant son règne, Henri IV évite de recourir aux États généraux mais ceux-ci reviennent à l’agenda après son assassinat sous la régence de Marie de Médicis. Confrontée à la minorité de Louis XIII, aux révoltes des grands et à une crise financière, elle doit céder à la demande de réunion des États, espérant apaiser les tensions et trouver des solutions. Ce rassemblement de 464 députés, miné par les rivalités entre ordres, se révèle rapidement inefficace. La noblesse s’oppose au tiers état sur des questions fiscales ; le clergé, quant à lui, défend avant tout l’application des réformes tridentines, rejetées par les autres. Les débats révèlent un consensus sur la nécessité de réduire les abus fiscaux mais échouent sur des questions fondamentales comme la définition de l’autorité royale. Le tiers état introduit l’idée que le monarque français relève « de droit divin », un concept fortement combattu par les clercs et les nobles. Il faut rappeler que les Français de l’époque ne rejettent pas le principe de monarchie et des divisions sociales mais attendent des États généraux qu’ils rétablissent le bon ordre de la société par l’action du souverain. Exploitant les divisions, la régente dissout brutalement l’assemblée en février 1615, sans donner suite aux cahiers de doléances, frustrant les députés, incapables de surmonter les clivages sociaux et d'imposer des réformes structurelles. Ils ne sont plus réunis jusqu’en 1789 mais l’idée de les convoquer n’est pas abandonnée. Ainsi, lors de la Fronde (1648-1653), alors que la noblesse et les parlements révoltés exigent à nouveau leur rassemblement pour limiter l’autorité royale, Mazarin et la Cour, profitant du rétablissement progressif de l’ordre, reportent puis annulent purement et simplement cette perspective. L’affirmation de l’absolutisme monarchique entérine le déclin de cette institution, jugée comme un contre-pouvoir dangereux pour l’unité du pouvoir. Dans le deuxième quart du XVIIe siècle, le pouvoir se dirige en effet vers une structure bicéphale, avec Louis XIII et Richelieu puis Anne d’Autriche et Mazarin, laissant moins de place aux corps constitués. Sous Louis XIV, la concentration du pouvoir entre ses mains ne l’empêche pas de prendre conseil auprès des notables du royaume, mais le concept d’États généraux s’estompe progressivement. Il demeure certains aristocrates comme Saint-Simon et Fénelon (dans les Tables de Chaulnes) pour plaider pour leur convocation régulière au crépuscule du règne du Roi-Soleil et au temps de la régence dans les années 1710.


Un temps décisif pour la création de l’Assemblée nationale


L’Assemblée des notables de 1787, Claude Niquet, Archives nationales, 4e quart du XVIIIe siècle.
L’Assemblée des notables de 1787, Claude Niquet, Archives nationales, 4e quart du XVIIIe siècle.

Sept décennies plus tard, l’idée de Fénelon de faire appel à un « corps représentatif de tout l’État » inspire Louis XVI, confronté à une énième crise d’ampleur. Mais avant de convoquer les États généraux, Louis XVI ressuscite une autre institution mise en sommeil depuis 160 ans : il réunit une assemblée des notables en 1787. Elle s’inscrit dans un contexte troublé, à la fois sur le plan financier, social et politique, qui secoue la France depuis plusieurs années. Le règne de Louis XVI est marqué par des dépenses excessives, notamment à cause de la guerre d’Indépendance américaine et d’un système fiscal inefficace et inégalitaire. Les tentatives de Calonne et de Brienne pour assainir les finances échouent face à la réticence des privilégiés à toute réforme. Par ailleurs, les émeutes populaires à Grenoble en juin 1788 conduisent à la réunion des États du Dauphiné, qui indiquent le désir de refonder l’ordre politique à l’échelle de la nation. Le roi se résout à convoquer les États généraux le 8 août 1788. Cette décision réveille des espoirs de changement dans tout le royaume, mais agite également l’opinion publique par la publication de libelles et de gazettes enflammées. Une seconde assemblée des notables est réunie à la fin de l’automne 1788 pour déterminer les conditions de réunion des États généraux et notamment la question de la répartition des votes et de la représentation des ordres. Au cœur de l’hiver, des milliers de cahiers de doléances sont rédigés dans les paroisses, exprimant des revendications communes : égalité des personnes et des provinces devant l’impôt, suppression des privilèges et de l’arbitraire judiciaire, et surtout, l’élaboration d’une Constitution visant à limiter le pouvoir royal et à garantir la liberté individuelle. La société française, profondément inégalitaire, voit ainsi s’exprimer les aspirations d’une bourgeoisie montante. Les élections aux États généraux, organisées au printemps 1789, donnent une place inédite au tiers état, doublement représenté, mais toujours minoritaire face à l’alliance traditionnelle du clergé et de la noblesse.


Lettre du roi pour la convocation des États-généraux à Versailles le 27 avril 1789.
Lettre du roi pour la convocation des États-généraux à Versailles le 27 avril 1789.

En avril 1789, l’ingénieur parisien Louis Dufourny de Villiers publie les Cahiers du quatrième ordre, revendiquant une représentation des infortunés aux États, mais sa proposition n’est pas retenue. La composition sociale ne reflète évidemment pas celle de la société : avec 18 millions de paysans sur 28 millions d’habitants, un seul député issu de ce milieu est présent. Le tiers état comporte surtout des membres de la haute bourgeoisie, des avocats, des industriels, des médecins. La noblesse est représentée sans surprise par des personnages éminents, tandis que le clergé est plus contrasté entre curés du bas-clergé et prélats de renom. Le 5 mai 1789, les États généraux s’ouvrent solennellement à Versailles dans une atmosphère chargée d’espoir et de tension, après des décennies d’absence et dans un contexte de crise financière et sociale aiguë. Dès les premières séances, les députés du tiers état, forts de leur représentation doublée et inspirés par les idées des Lumières, refusent de se soumettre aux règles traditionnelles de délibération par ordre, qui avantagent systématiquement le clergé et la noblesse. Ils revendiquent avec insistance le vote par tête, une mesure qui, si elle était adoptée, remettrait en cause l’équilibre séculaire de la société d’Ancien Régime. Face à l’intransigeance du roi et des ordres privilégiés, les députés du tiers état, rejoints par quelques membres progressistes du clergé et de la noblesse, décident de prendre les devants : le 17 juin, ils se proclament Assemblée nationale, affirmant incarner la souveraineté de la nation tout entière. Trois jours plus tard, le 20 juin, ils scellent leur détermination en prêtant le serment du Jeu de paume, jurant de ne pas se séparer avant d’avoir doté la France d’une Constitution. Cet acte défie directement l’autorité royale. Le roi, d’abord réticent, finit par céder sous la pression des événements et ordonne, le 27 juin, la réunion des trois ordres en une seule assemblée. Le 9 juillet, celle-ci se déclare Assemblée nationale constituante, marquant ainsi la fin des États généraux à proprement parler et le début d’une révolution politique sans précédent. Entre-temps, les cahiers de doléances, qui expriment les aspirations du peuple à l’égalité, à la liberté et à la fin des privilèges, inspirent les débats et accélèrent le mouvement. En août 1789, sous l’impulsion des députés et dans un climat d’effervescence populaire, l’Assemblée abolit les privilèges féodaux, sonnant le glas de la société d’ordres, même s’il faut attendre quatre ans pour que la Convention prononce son abolition définitive sans indemnité ni contrepartie.


Ouverture des Etats Généraux le 5 mai 1789, Jean-François Janinet, Musée Carnavalet, 1790.
Ouverture des Etats Généraux le 5 mai 1789, Jean-François Janinet, Musée Carnavalet, 1790.

Un mythe républicain convoqué dans les temps de refondation


L’histoire politique française du XIXe siècle, avec ses multiples changements de régime, ne rassemble pas d’équivalents d’États généraux ponctuels. Le pouvoir législatif, réuni en différentes institutions, assure une fonction de contrôle de l’exécutif et de représentation des territoires et de la nation de manière permanente. L’intérêt pour les États généraux se développe dans le champ historique, qui cherche à mettre en lumière l’action de la bourgeoisie urbaine et du tiers état comme forces motrices des idées démocratiques. En effet, selon des historiens comme Augustin Thierry, François Guizot et Jules Michelet, les États généraux préfigurent un espace d’expression de la volonté collective et de recherche du partage du pouvoir. Ces instances annoncent l’émergence de la contestation populaire - avec une attention particulière portée à l’action d’Étienne Marcel - et des modes de revendication déployés lors des États généraux de 1789. Par la suite, l’historiographie du XXe siècle a nuancé ces interprétations, souvent jugées trop déterministes, en insistant sur la complexité des rapports entre monarchie, ordres et société. De nos jours, des historiennes et historiens réévaluent leur rôle dans la négociation collective et les études sociales sur les participants aux différents États généraux permettent de voir l’imprégnation du fait politique dans la France d’Ancien Régime.


L’idée de convoquer des États généraux revient dans un contexte particulièrement tourmenté, celui de l’immédiat après-guerre. Les États généraux de la Renaissance française, tenus à Paris du 10 au 13 juillet 1945 à l’initiative du Conseil national de la Résistance, marquent un moment unique d’expression citoyenne et de démocratie participative dans l’histoire contemporaine de la France. Organisés en l’absence d’élections, ils permettent à près de deux mille délégués, principalement des résistants proches des communistes, de formuler les attentes populaires et de proposer des réformes sociales, économiques et constitutionnelles, inspirées par l’esprit révolutionnaire. À travers des cahiers de doléances élaborés localement, les participants abordent des sujets aussi variés que la reconstruction, la place des femmes, les nationalisations, la décolonisation ou encore la vie des entreprises. Les remontées d’information des corps constitués viennent tout à la fois d'associations, d’organismes représentants des intérêts, de syndicats, de circonscriptions administratives et de comités locaux de Libération. Bien que le gouvernement provisoire ne s’estime pas lié par leurs conclusions, ces États généraux contribuent à populariser le programme du CNR et à ancrer dans le débat public des questions majeures pour la France de l’après-guerre. Leur influence se mesure notamment dans les élections d’octobre 1945, où les partis se réclamant du CNR obtiennent une large majorité, illustrant ainsi l’impact durable de cette expérience démocratique inédite. Dans les 80 années qui suivent, l’expression « États généraux » va faire florès et se décliner dans une multitude de domaines. Cela traduit la volonté d’accorder une place significative à un thème donné (information, justice, lecture pour la jeunesse…). Toutefois, leur organisation sectorielle, leur multiplicité et le crédit limité qui leur est accordé démontrent dans le même temps la faible considération du pouvoir exécutif envers ces temps de consultation, de conseil et de construction collective du pouvoir.


Les États généraux de la renaissance française en 1945, Palais Chaillot, 1945.
Les États généraux de la renaissance française en 1945, Palais Chaillot, 1945.


Les États généraux ont joué un rôle central mais souvent limité dans la résolution des crises politiques, religieuses et financières qui divisaient le royaume de France. Il convient de ne pas réduire leur histoire à une marche inéluctable vers les journées révolutionnaires de 1789 ou à une préfiguration des institutions représentatives modernes. Ce sont tout à la fois des institutions de légitimation, de préservation de l’ordre social, de négociation des cadres et des structures du pouvoir. Comparer ces assemblées à un Parlement stable et uniforme ne permet pas de lire la diversité des contextes historiques, des objectifs conjoncturels des participants, ainsi que la variabilité des procédures et des terminologies selon les époques et les régions. Au fil des siècles, on observe une certaine formalisation des procédures, mais sans uniformisation car chaque réunion répond aux enjeux du temps. La question fiscale a souvent été un motif de convocation, mais certaines de ces assemblées répondent aussi à des enjeux politiques spécifiques, c’est-à-dire à des rééquilibrages des forces entre le pouvoir royal et chacun des trois ordres. Les États généraux, marqués par une représentation inégale et des sessions brèves, illustrent davantage la complexité des rapports de force et des adaptations ponctuelles que l’émergence d’un modèle institutionnel cohérent. Leur sens réside d’abord dans leur capacité à incarner la diversité de la société et à tempérer l’exercice du pouvoir royal. Ainsi, les États généraux traduisent la recherche d’un équilibre entre autorité et respect du pluralisme.



Pour aller plus loin :



BOUZY Olivier, “Les débuts du règne de Charles VII : 1418-1428”, Bulletin de l'Association des amis du Centre Jeanne d'Arc, 2003.


BULST Neithard, Les états généraux de France de 1468 et 1484, Éditions de la Sorbonne, 2022.


CONTAMINE Philippe, “La royauté française en crise, de la défaite de Poitiers aux états généraux”, Recueil des Commémorations, 2006.


CORNETTE Joël, Affirmation de l'État absolu - 1483-1652, Hachette Éducation, 2024.


DAUBRESSE Sylvie, “Les États généraux et le roi de France : l’union imparfaite”, University of Oxford - Centre for intellectual history, 2021.


GARNIER Florent, “Les communes, les États généraux et le prince au Moyen Âge : volonté et consentement fiscal chez les historiens libéraux français au XIXe siècle”, in La volonté Italie-France allers-retours, Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2022.


HARRISON W. Mark, “États Généraux de 1789”, World History Encyclopedia, avril 2022.


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