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La culture des murs

22/04/2020

          C’est lors d’une balade en ville que je me posais la question suivante : « Pourquoi l’Homme construit-il tant de murs ? » Des murs entre les écoles et le reste de la municipalité, entre chez soi et chez les autres, à l’échelle locale ou encore nationale : l’être humain vit emmuré. D’autres questions me sont alors naturellement venues : l’Homme cherche-t-il à se protéger de ses semblables ? Cherche-t-il, par ce biais, à compartimenter des espaces comme autant de cartons libellés au nom de ce qu’ils contiennent ? Est-ce dans le but de faciliter la compréhension des différents lieux et des attitudes à adopter dans un monde de plus en plus complexe ? En quelle mesure les murs influencent-t-ils notre psyché et comment notre psyché nous amène-t-elle à construire des murs ? Existe-t-il d’autres possibilités ? Ces questions sont autant de chemins que nous allons suivre tout au long de cet article.

Les murs d’autrefois

           Le mur, tant dans son idéologie que dans sa réalité physique, est un rempart de protection face aux agressions extérieures. Le mot clé serait d’ailleurs « protection ». Pendant des siècles, de l’antiquité au bas Moyen-âge, des cités extraordinaires (Babylone, limes romains, Grande muraille de Chine … ) résistèrent aux assauts ennemis grâce à d’énormes remparts, d’énormes murs.

         Claude Quétel, historien français, les décrit parfaitement dans la première partie de son ouvrage : Histoire des murs. Expliquant par exemple, p.9, pour le cas de la Grande Muraille de Chine : « Les barbares ce sont les voisins dont il faut se protéger ». Ironie du sort, à l’intérieur même de ces empires fortifiés, d’autres murs protégeaient les plus nantis du reste de la population. Comme une succession de barrières à franchir à mesure que l’on entreprend l’ascension de l’échelle sociale.

       Ainsi, dans une société pyramidale aux richesses distribuées inéquitablement, le mur semble être une alternative simple et efficace (souvent mêlée à la présence d’une milice) pour se protéger des convoitises venant de l’extérieur. Il y a alors séparation. Il est évident que cet état d’esprit, cette façon de se protéger grâce à d’épaisses cloisons, tout droit hérité des pratiques ancestrales, a traversé les époques pour perdurer encore aujourd’hui.

Grande muraille de Chine.jpg

La Grande muraille de Chine

Les murs à l’ère contemporaine

       Commençons par rappeler ce fait : le Mur, ou mur de Berlin, fut détruit il y a à peine plus de 30 ans, soit hier à l’échelle de notre civilisation. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. De plus, selon l’article de Cathy Lafont, « Ces murs qui séparent les hommes », publié sur le site internet du journal SudOuest, le 28/09/2016 : « Il y avait onze murs de séparation sur la planète en 1989. On en compte aujourd’hui soixante-cinq, construits et planifiés. »

 

        De la ligne verte de Chypre aux Indes, en passant par l’Europe, l’Afrique et les Etats-Unis, tous les continents semblent être atteints par cette mode du mur, comme une ultime solution aux challenges d’immigrations et de préservation d’une culture de la nation. Très proche de chez nous, c’est à Calais qu’un mur voué à empêcher le passage des migrants de la France vers l’Angleterre vient d’être construit.

 

        Sans parler de distribution strictement égalitaire, la présence de ces murs ne représente-t-elle pas un constat d’échec de nos sociétés dîtes civilisées ? A l’heure où la mondialisation et les échanges internationaux font de plus en plus loi, l’être humain ne devrait-il pas trouver une décence commune en termes de conditions de vie, et ce pour chacun des membres de son espèce ?

Les murs au service des inégalités

      Dans un monde que nous pourrions juger utopique, pourtant fort plausible, où chaque être serait à même, sans difficultés, de répondre à ses besoins primaires (boire à sa soif, manger à sa faim, se sentir en sécurité en ayant un toit et pouvoir se vêtir), les murs auraient-ils aucune raison d’exister ? Il est vrai, certaines personnes pourraient vouloir davantage, car c’est l’une des caractéristiques de l’être humain que d’aspirer aux meilleures conditions possibles lors de son expérience de vie.

 

       Cependant, puisque chaque être verrait ses besoins satisfaits, l’œil habituellement en colère de voir tant d’inégalités et d’injustices face aux chances, souvent inéquitables, aurait de fortes chances de s’apaiser.

 

       Pourtant, cela est loin d’être le cas tant le principe de Pareto semble prendre ici tout son sens. En effet, selon l’article « La richesse du monde et sa répartition : mise en perspective de ces vertigineuses inégalités qui continuent de se creuser », publié sur le site d’actualité Atlantico le 16/10/2016, « Il apparaît que les 10% les plus riches de notre monde, soit quelque 743 millions de personnes, possèdent 86% des richesses mondiales. », ou encore que « les 1% les plus riches au monde, soit 74,3 millions de personnes, s'en tirent avec 46% des richesses du monde ».

 

       Ainsi, comme nous avons pu le constater, les murs séparent et veulent protéger nos richesses. Les causes de leur construction sont souvent économiques et politiques, mais quel est aujourd’hui l’impact de ces murs sur les mentalités des personnes concernées ?

Les conséquences psychologiques

        Les cloisons, de par leur fonction même, créent un sentiment de séparation évident. Induisant les idées suivantes : « Nous sommes différents de ceux vivants de l’autre côté du mur. Pourquoi y aurait-il un mur sinon pour nous protéger de la méchanceté, de la convoitise et de la différence des autres ? » Sont quelques questions légitimes pouvant germer dans nos esprits fertiles.

 

        Le mur sépare, protège, pourtant n’est-ce pas une solution courtermiste ? N’est-ce pas une solution injuste ? Car oui, il est agréable de se trouver du « bon » côté du mur. Mais les richesses et la qualité de vie, souvent largement méritées par ceux qui en bénéficient, créent inévitablement un sentiment profond d’injustice, d’envie, voire d’infériorité pour ceux qui sont du « mauvais » côté.

        C’est pourquoi plus les murs sont présents pour protéger l’individu, ses idéaux et ses richesses, plus ils sont facteurs de haine et de convoitise tout aussi légitime, et poussant à des actes parfois terribles. Observant cela, il y a nécessité de construire davantage de murs pour se protéger plus encore. S’en suit, comme vous l’aurez compris, un cercle vicieux et l’apparition d’un plus grand nombre de remparts, barrières, cloisons, sans rappeler les inégalités grandissantes déjà évoquées.

 

       Ainsi, la peur d’abord ressentie, puis amenée à l’état physique en l’objet d’un rempart, ne fait qu’alimenter ce même processus de peur. Sommes-nous donc incapable de coopérer à l’échelle internationale pour que tout le monde puisse bénéficier de conditions de vie décentes ?

Les défis de notre génération

    Dans un contexte où les challenges de l’humanité revêtent davantage des aspects écologiques, où le monde du travail a considérablement changé, où le système éducatif est de plus en plus considéré comme obsolète, où la population vieillissante amène son lot de nouvelles interrogations, où les mouvements de population n’ont jamais été aussi importants : Ne serait-il pas temps de changer de paradigme pour aller vers plus d’ouverture ? Certes la protection est nécessaire face à des individus mal intentionnés. Pourtant cela amène une autre question, plus large encore : Comment un individu devient-il mal intentionné ? Le serait-il de naissance ? Ou bien le devient-il face à tant de paradoxes, d’inégalités et de sentiments négatifs ?

         En effet, pour un petit nombre d’individus, la folie existe bel et bien mais laissez-moi vous parler de ce postulat : Dans des tribus et sociétés dites « primitives », existant encore aujourd’hui à différents endroits du globe, le nombre de crimes semble anecdotique, les violences sexuelles ne font pas parties du paysage, les vols insignifiants, les murs inexistants. Il semblerait qu’une mentalité séparatiste engendre violences et inégalités, amenant logiquement la construction d’édifices matérialisant cette séparation. Comment pouvons-nous sortir de cette spirale ? Comment aller vers plus d’harmonie lorsque tant d’intérêts sont divergents ? Qui peut se targuer de proposer l’intérêt le plus à même de faire avancer l’humanité ?

Des solutions

        Il est agréable de penser qu’en dehors de l’aspect individuel, les actions profitant à l’ensemble de l’humanité, à l’idée la plus grandiose que nous nous faisons de nos capacités et de nos possibilités, sont les actions bonnes à entreprendre. Imaginons que demain, tous les murs soient détruits instantanément. Deux possibilités émergent parmi d’autres : soit l’Homme en sortirait grandi, amenant plus d’ouverture à son environnement et, à terme, plus de sanité dans les échanges. Soit l’Homme s’empresserait de tout reconstruire, ne pouvant faire face à un changement si abrupt.

 

       Bien sûr, cette éventualité d’un effondrement planétaire et instantané relève de l’impossible, et les changements de cette ampleur se font au fur et à mesure. Une étude menée par la professeure Alexandra Auer, L’effet intangible des murs, qu’elle relatera dans une conférence TedXEindhoven, le 20 février 2019, prend l’exemple de deux écoles primaires, séparées par un mur. L’une fréquentée par les enfants de la population locale, l’autre par des enfants issus de quartiers défavorisés et de l’immigration. Mme. Auer eut l’idée d’installer des jeux faisant interagir les deux écoles, notamment une sorte de téléphone, à l’endroit du mur, où les enfants pouvaient discuter avec ceux de l’autre établissement. Après avoir profité de cette installation, la perception des écoliers envers ceux de l’école voisine avait radicalement changé, et ce positivement, les uns les autres affirmant « qu’ils pourraient devenir amis ». Ainsi, cette expérience montre que par le jeu et la communication, les sensations de différence et de peur sont fortement atténuées, pour ne pas dire transformées, malgré la présence même du mur.

 

      Ce que nous considérons aujourd’hui comme des fatalités, des effets inévitables de la vie en société, le sont-ils vraiment ? Ce que nous considérons comme la norme est-elle vraiment normale ? Est-il impossible d’en lever l’ancre pour accoster sur les rivages de l’harmonie et de l’équilibre ? Une chose est sûre, il y a nécessité d’une plus grande unité internationale afin de faire face aux nouveaux défis en présence et ceux à venir.

      Bien qu’il s’agisse ici d’aborder les murs physiques ainsi que leur répercussion sur l’environnement global, il serait intéressant de se pencher sur les murs plus invisibles, intangibles, prenant le plus souvent un air officiel à travers les us et coutumes. C’est par exemple le cas dans le monde du travail et de l’administration. Evoquons, comme une simple piste à étudier, la répartition rarement égalitaire des sexes dans les gouvernements comme dans beaucoup d’autres domaines. De grands personnages, assoiffés de liberté ont su véhiculer ces valeurs. Nous pensons à Nelson Mandela, Simone Veil, Gandhi, ou encore Rosa Parks pour ne citer qu’eux.

Platon :    « Ce   ne   sont   pas   les   murs   qui   font   la   cité,   mais   les    hommes.   »
Steven Dulor

BIBLIOGRAPHIE

  • Claude Quétel, Histoire des murs, Editions Perrin, 2012, 324 p.

 

 

 

  • Alexandra Auer, L’effet intangible des murs, TedXEindhoven, 20/02/2019

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