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L'accident nucléaire de Béryl (1er mai 1962)

01/05/2022
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Le 25 décembre 1961, près de Reggane. Photo AFP
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Un bloc de la montagne Tawrirt Tan Afella qui s'est détaché lors de l'explosion. Archives de Marcel Couchot.

Le 1er mai 1962, un accident nucléaire d’ampleur notable a lieu dans le Sahara algérien, lors d’un essai de bombe A mené à l’initiative de la France. Un défaut de confinement conduit à la libération d’un nuage radioactif, irradiant plusieurs militaires et officiels français, ainsi que des populations civiles. Retour sur l’essai « Béryl » et le contexte... explosif autour de cette opération défaillante.

Nous sommes alors un mois et demi après les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962. Ceux-ci comportent un cessez-le-feu, consacrent la décolonisation de l’Algérie et marquent le début du processus de transfert de pouvoir de la République française vers le nouvel État algérien. Dans les négociations menées dès 1961, la question du Sahara demeure un point d’achoppement entre les différentes parties. En effet, les essais nucléaires menés depuis février 1960 dans le sud-algérien constituent l’un des enjeux stratégiques majeurs pour la constitution de la puissance nucléaire française, dans le contexte de la Guerre Froide et de la volonté de maintenir une diplomatie indépendante des deux blocs. De leur côté, les indépendantistes algériens peinent à imaginer maintenir ces armements spéciaux de la métropole sur leur sol. Une des clauses disputées et entérinées lors des accords d’Évian est la concession sur l’utilisation par l’État français des installations sahariennes, notamment le Centre d'expérimentations militaires des oasis d’In Ekker, pour une période transitoire de cinq ans.

Un autre facteur essentiel à prendre en compte est le changement de doctrine quant aux essais nucléaires. Entre 1960 et 1961, ils sont menés au Centre saharien d'expérimentations militaires de Reggane en extérieur. Ces essais atmosphériques sont dans le viseur de la communauté internationale, qui cherche à négocier depuis 1958 un Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires aériens (il est finalement signé en juillet 1963, après la crise de Cuba). Un premier essai souterrain a lieu à In Ekker en novembre 1961, avec succès. L’opération du 1er mai 1962 attire des personnalités politiques, notamment Pierre Messmer et Gaston Palewski, respectivement ministres de la Défense et de la Recherche scientifique, et elle est conduite au même endroit. Ce dernier paramètre est la donnée décisive expliquant l’accident : la roche de la montagne du Taourirt Tan Afella ayant été fragilisée lors du premier essai, des laves et aérosols radioactifs ont pu s’échapper suite à l’explosion, et être soufflés par le vent fort. Des dizaines de personnes connaissent une exposition aux radiations, mais les conséquences sanitaires et environnementales demeurent officiellement limitées dans cette région désertique.

Le lendemain de cette explosion, une autre secoue l’Algérie : l’Organisation de l’armée secrète (partisane de l’Algérie française) mène une attaque à la voiture piégée dans le port d’Alger et conduit à des dizaines de victimes. Les tensions sont vives entre les différentes composantes de la société algérienne, y compris après la proclamation de l’indépendance le 5 juillet 1962. Les relations entre l’Algérie et la France restent sensibles à travers les décennies et la question mémorielle est au cœur de nombreuses controverses politiques. En particulier, les essais nucléaires français demeurent l’un des principaux contentieux et reviennent régulièrement dans l’actualité. En 2010, la France vote la loi Morin qui prévoit une procédure d’indemnisation pour les personnes exposées, mais seule une personne a pu obtenir réparation depuis lors. Plus récemment, lorsque les vents chargés de poussières venus du Sahara ont soufflé au-dessus de l’Hexagone, la mesure d’éléments radioactifs (certes en très faible quantité) est venue rappeler à la France sa responsabilité historique dans les essais nucléaires conduits dans le sud de l’Algérie.

Au total, de 1960 à 1996, la France procède à 210 essais nucléaires, tout d’abord conduits dans le Sahara algérien avant d’être massivement déployés en Polynésie française. Depuis 1996, la France a signé le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires et s’est engagée à ne plus jamais en réaliser.

Pour aller plus loin :

BULIDON Louis, « Les irradiés de Béryl. L’essai nucléaire français non contrôlé », Thadée, 2011.


« 1962-2012 : les irradiés de Béryl », France Culture, 8 mars 2012.
 

« Une catastrophe nucléaire nommée Béryl », Libération, 26 juin 2013.
 

« Sahara algérien — des essais nucléaires aux camps de sûreté », Ballast, 28 juin 2017.
 

« Algérie : sous le sable du Sahara, le lourd passé nucléaire français », TV5 Monde, 18 juillet 2021.
 

« Nuage de sable du Sahara : une pollution radioactive qui revient comme un boomerang », Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest, 17 mars 2022.

Pierre SUAIRE

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