Dans le cadre des 80 ans de la Libération et de la "Caravane de l'Histoire" qui prendra la route au mois de juin pour deux conférences dans les Vosges, Histoire d'en Parler vous propose une série de portraits des jeunes chercheurs, doctorants et passionnés qui interviendront à cette occasion.
Rencontre avec Octave Moreau, enseignant d'histoire-géographie et doctorant au laboratoire Histoire Territoires Mémoires (HisTeMé) de l'Université de Caen Normandie dont la thèse porte sur les représentations et les sensibilités des Normand⋅es sous les bombardements aériens alliés durant la Seconde Guerre mondiale.
Comment faites-vous de l'histoire ?
Ma manière de faire de l'histoire prend pour base celles et ceux dont les récits ont été minorés par les mémoires collectives. Dès lors, afin de comprendre les processus qui aboutissent à ces formes de silenciation, je cherche à questionner les représentations et les mémoires qui entourent des périodes ou des évènements historiques, notamment lorsqu'ils peuvent être considérés comme paradoxaux. Enfin, je m'intéresse également grandement aux sensibilités des populations civiles. Ce sont ces différents aspects qui construisent mon travail de thèse sur les représentations des bombardements alliés en Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale : histoire d'une sensibilité paradoxale.
Comment étudie-t-on la libération ? Quelles sont les archives ? Quels sont les ouvrages importants ?
Étudier la Libération, et plus généralement la Seconde Guerre mondiale, est complexe car il existe une abondante quantité d'ouvrages divers et variés sur une multitude de sujets qui peut donner l'illusion que tous ses aspects ont été très largement couvert par l'historiographie. Il est toutefois possible de questionner la construction des sources, primaires ou secondaires, en les replaçant dans leur contexte de production et de réception afin d'étudier les représentations et les mémoires de ces évènements.
Les archives que je mobilise dans le cadre de mon travail de thèse, sur les représentations des bombardements alliés en Normandie, sont principalement des archives orales, des égo-documents (témoignages, journaux intimes, lettres), croisés avec des archives administratives, notamment des rapports sur les opinions des populations locale des renseignements généraux et des préfectures ou de l'organisation de la population dans des associations comme les associations de sinistrés, et divers productions culturelles. L'historiographie constitue également une part importante de mon étude.
En Normandie, les ouvrages les plus importants sur la question des bombardements anglo-américains sont les ouvrages émanant de l'enquête du CRHQ dans les années 1990 afin de recenser les victimes civiles de la bataille de Normandie comme Villes normandes sous les bombes (juin 1944) de Michel Boivin, Gérard Bourdin et Jean Quellien. C'est toutefois sous l'impulsion d'historiens anglo-saxons comme Andrew Knapp, Les Français sous les bombes alliées, 2014, ou Stephen A. Bourque, Au-delà des plages, la guerre des Alliés contre la France en 2019, que la question des bombardements anglo-américains a dépassé la seule année 1944 pour se concentrer sur l'entièreté du second conflit mondial.
Pourquoi vous êtes-vous intéressés particulièrement à la Libération ?
Je trouve la période de la Libération particulièrement intéressante car par définition, elle constitue ce passage entre temps de guerre et temps de paix. Dès lors, si avec la Libération les populations interagissent avec de nouvelles forces armées, alliées cette fois-ci, leur quotidien reste bouleversé : les civils vivent dans des ruines, il faut déblayer les villes et retrouver les corps des disparus, les tickets de rationnement restent centraux... Nous sommes loin d'un retour instantané à une vie "normale". Je trouve également passionnant les représentations de cette période et les usages sociaux qui en sont fait entre 1945 à nos jours.
En quoi la libération occupe une place importante dans la mémoire collective ?
La Libération occupe une place importante dans les mémoires collectives dans la mesure où elle constitue, en quelque sorte, le mythe fondateur de l'ordre du monde occidental post-1945. Pour la France par exemple, bien que ce soit la IVe République qui succède au Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF), c'est la figure du général de Gaulle qui fait office de catalyseur entre la Résistance, la Libération et la Ve République. Lors des commémorations de la Libération, il n'est également par rare d'associer le Débarquement allié à la fondation de l'Union Européenne. Enfin, à l'échelle mondiale, c'est bien évidemment sur les États-Unis que se concentrent les discours. La construction des mémoires du Débarquement et de la Libération leur attribuent le plus grand investissement pour la Libération, confortant leur place de puissance mondiale garante de la liberté, au détriment du rôle essentiel des Britanniques, des Canadiens ou des Soviétiques par exemple.
Que peut-on attendre de la commémoration à venir en juin prochain ?
Les commémorations du mois de juin 2024 devraient les plus importantes commémorations du Débarquement et de la Libération. Cela s'explique par l'intensification du développement du tourisme mémoriel, les Jeux Olympiques, le contexte international et le fait que beaucoup considèrent ces commémorations comme étant l'une des dernières où il sera possible de rendre hommage vétérans et aux populations civiles qui ont vécu ces évènements de leur vivant. À nouveau, ces commémorations seront très certainement marquées par leur caractère festif.
De mon côté, je prêterai une attention toute particulière aux différents hommages qui seront rendus aux victimes civiles des bombardements anglo-américains.
Octave Moreau interviendra à l'occasion de la Caravane de l'Histoire lors de la conférence "Mémoires croisées, des destructions de la Libération" le samedi 22 juin à Saint-Dié des Vosges. En savoir plus
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