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Premiers habitants, derniers citoyens : le paradoxe Amérindien aux États-Unis

Eva HUIJNEN

Bien avant l’arrivée des Européens, l’Amérique du Nord était habitée par une mosaïque de peuples aux cultures, modes de vie et structures politiques variés. Avec la colonisation européenne, puis l’indépendance des États-Unis en 1776, ces nations autochtones ont fait face à des transformations brutales sur leur territoire  : dépossession territoriale, conflits armés, adaptation forcée et assimilation culturelle. Aujourd’hui, les États-Unis, comptent 6,8 millions d’Américains «natifs», soit environ 2% de la population américaine. Cet article va s’attacher à examiner la manière dont leur statut s’est progressivement marginalisé au sein des États-Unis et comment ces populations ont réagi à ces bouleversements. 


Amérindien devant le drapeau des États-Unis.

Commençons par revenir sur le terme d’« Amérindien » qui est un mot composé qui vient de « Amérique » et « Indien » désignant les peuples autochtones des Amériques. Cette dénomination est due à une erreur historique : lorsque Christophe Colomb a atteint le continent en 1492, il pensait être arrivé en Inde, appelant ainsi les habitants du continent américain les « Indiens ». Avec le temps, pour éviter toute confusion avec les habitants de l'Inde, plusieurs termes ont été employés, notamment « Indiens d'Amérique », puis « Amérindiens », terme principalement utilisé en France pour désigner les peuples autochtones d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Ce terme générique adopté par les Européens pour les désigner englobe ainsi toutes les différentes nations préexistantes à leur arrivée sur le territoire américain, effaçant ainsi leurs particularités. Aux États-Unis, le terme privilégié est donc, « Native American » ou « Indigenous People » et la plupart des tribus préfèrent être appelées par le nom spécifique de leur nation (Navajo, Sioux, Cherokee, etc.). [NB : l’usage des termes « tribu », « autochtones », « indigènes » et « Indiens » est toutefois largement accepté aux États-Unis, notamment par les nations elles-mêmes, NDLR]


L’histoire des peuples d’Amérique avant leur colonisation est difficile à retracer, notamment par le fait que ces peuples reposaient sur la transmission orale de leur culture (à l’instar des empires précolombiens d’Amérique latine). La majorité de notre savoir vient des récits des Européens qui ont établi les premiers contacts, mais le problème demeure que les civilisations qui se trouvent en dehors de l’Europe sont perçues dans une catégorie « exotique » et pour les étudier, sont utilisés des concepts et des notions élaborés au sein de la pensée occidentale. On a alors tout un cadre de pensée occidentale dominant qui est utilisé pour comprendre ces peuples colonisés et leurs pratiques, qui a été développé dans le cadre des empires coloniaux, pour fournir de l’information aux entreprises et administrations coloniales pour mieux comprendre et dominer ces territoires.


Compte tenu la grande homogénéisation et acculturation des Amérindiens aux États-Unis, il est difficile de retrouver leurs pratiques et croyances originelles. Ayant été christianisés par les missionnaires européens à partir du XVIIe siècle, leur culture s’est retrouvée mélangée à la culture européenne. Cependant, des éléments ont subsisté. En effet, malgré les siècles de décimation de ces peuples par la colonisation et l’acculturation, persistent dans certaines réserves protégées en Amérique du Nord des tribus amérindiennes s’attribuant à une tribu particulière qui s’attachent à préserver leurs traditions. 


Effacement et marginalisation, des citoyens de « seconde zone » dans leur propre pays.


Les Amérindiens, habitants originels du continent américain, sont aujourd’hui l’une des populations les plus marginalisées aux États-Unis. Leur invisibilisation politique, sociale et culturelle a toujours été un fait depuis la colonisation de l’Amérique par les Européens, et elle s’est aggravée sous la présidence de Donald Trump, dont la politique nationaliste prône une identité américaine européo-centrée. Mais alors comment un peuple qui a précédé la fondation des États-Unis peut-il se retrouver relégué à un rôle secondaire dans le pays dont il a été le premier habitant ?


Malgré l’Indian Citizenship Act de 1924 qui leur a accordé la citoyenneté américaine, les Amérindiens restent en marge de la société américaine, cela se voit notamment si l’on regarde leur niveau de vie : environ 26% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, un taux bien supérieur à la moyenne nationale. Cela est d’autant plus renforcé par le fait qu’ils ont un accès limité aux soins de santé, dans un système qui leur accorde peu d’attention : le Indian Health Service (IHS) est sous-financé et incapable de répondre à tous les besoins des communautés autochtones, ce qui laisse de nombreux Amérindiens sans couverture médicale adéquate. Avant l’Indian Citizenship Act, bien que certaines tribus aient obtenu la citoyenneté par des traités ou par leur service militaire (notamment lors de la Première Guerre mondiale), l'ensemble des Amérindiens n’étaient pas reconnus comme citoyens des États-Unis.


Amérindiens dans la Première Guerre mondiale. Photographie L'Argonnaute (La Contemporaine) parue dans Le Miroir, 26 août 1917.
Amérindiens dans la Première Guerre mondiale, photographie L'Argonaute (La Contemporaine) parue dans Le Miroir, 26 août 1917.

Cependant, malgré cette reconnaissance, de nombreux États ont continué à leur refuser certains droits civiques, notamment le droit de vote, jusqu'aux années 1960. Aujourd’hui, les Amérindiens ont la double appartenance : ils sont citoyens américains tout en étant membres de leur nation tribale, qui bénéficie d’une certaine souveraineté sur ses terres.


Donald Trump et la conquête des terres tribales : une menace sur la souveraineté autochtone.


Au cours de son premier mandat (2017-2021), Donald Trump, président mais également et avant tout homme d’affaires, a facilité l’exploitation des terres amérindiennes par des compagnies pétrolières et minières, réduisant la taille de certaines réserves protégées (ex : Bears Ears National Monument). Il a soutenu le projet du pipeline Dakota Access, malgré l’opposition de la tribu amérindienne des Sioux de Standing Rock. En les rendant invisibles, en fragilisant leur souveraineté et en les instrumentalisant politiquement, Donald Trump perpétue une longue histoire d’effacement de leur rôle dans la construction du pays. Loin d’être un vestige du passé, la question amérindienne est un enjeu central pour comprendre les contradictions de l’Amérique contemporaine.

Un site sacré pour les Amérindiens Navajos : Shiprock (Nouveau-Mexique), Bowie Snodgrass
Un site sacré pour les Amérindiens Navajos : Shiprock (Nouveau-Mexique), Bowie Snodgrass

Le paradoxe du droit du sol : l’Amérique aux Américains, mais pas aux Amérindiens ?


En voulant restreindre le droit du sol, Trump remet en question un principe qui a structuré l’identité américaine. Trump prône une Amérique "pure" et européenne, tout en marginalisant ceux qui étaient là bien avant les colons. Pourtant, ce concept est historiquement ironique : si quelqu’un devait revendiquer un droit de naissance aux États-Unis, ce sont bien les Amérindiens. La marginalisation des autochtones dans le débat politique est une conséquence directe de cette contradiction. L'idée d’une Amérique appartenant uniquement aux descendants d’Européens nie l’histoire des autochtones et perpétue leur effacement .


Un effacement politique et culturel persistant : quelles perspectives ?  


De nombreux mouvements autochtones émergent pour revendiquer leur place dans la société américaine. La montée en puissance d’organisations comme le National Congress of American Indians (NCAI) ou le mouvement Idle No More montre une volonté de défendre les droits des autochtones face aux politiques fédérales et la préservation de certaines de leurs pratiques qui sont menacées de disparaitre face à l’homogénéisation culturelle et linguistique des États-Unis. 

En octobre 2022, l’ancien président des États-Unis Joe Biden a fait proclamer par un décret l0 octobre 2021 comme « Jour national des peuples indigènes ». Cette nouvelle fête américaine fait passer au second plan le « Columbus Day » (Jour de Christophe Colomb), célébration qui est de plus en plus vivement critiquée par la gauche anticolonialiste. En rendant les Amérindiens invisibles, en fragilisant leur souveraineté et en les instrumentalisant politiquement, Donald Trump perpétue une longue histoire d’effacement du rôle des peuples autochtones dans la construction du pays. Cette marginalisation n’est pas qu’un vestige du passé : elle illustre les contradictions profondes de l’Amérique contemporaine et interroge sur l’avenir des nations autochtones aux États-Unis.


Une manifestation contre le Colombus Day à New Haven (Connecticut), 1992.
Une manifestation contre le Colombus Day à New Haven (Connecticut), 1992.

Loin d’être un simple enjeu historique, la question amérindienne est au cœur des débats actuels sur l’identité, la justice et la place des minorités dans la société américaine. L’avenir des peuples autochtones dépend des stratégies qu’ils mettent en place pour renforcer leur représentation politique, préserver leur autonomie et protéger leurs droits face aux pressions économiques, territoriales et politiques de la part du gouvernement états-unien.


Pour aller plus loin : 


  • Edward Saïd, L’Orientalisme, 1978 

  • Emmanuelle Sibeud, « Post Colonial et Colonial Studies : enjeux et débats », dans Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 2004/5 n°51-4bis, Paris, Belin, 2005 

  • Nelcya Delanoë, « L’identité indienne à l’épreuve de la modernité », Journal de la Société des Américanistes, vol. 90, no 2,‎ 2004, p. 128-136

  • Colin G. Calloway, First People, a Documentary Survey of American Indian History, Boston, Bedford/St Martin’s, 2007, 3e édition. 

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