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Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes - Titiou Lecoq

Photo du rédacteur: Pierre SUAIREPierre SUAIRE

Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes ? La question est simple, la réponse est plus difficile. Pour y répondre, la journaliste Titiou Lecoq publie en 2021 Les Grandes Oubliées. Pourquoi l'Histoire a effacé les femmes, devenu un best-seller. Pour comprendre les raisons pour lesquelles l’importance des femmes a été minimisée, négligée ou supprimée, il est nécessaire de saisir comment se vit le processus d’écriture et de diffusion de l’histoire. Et tordre le cou à des idées reçues persistantes.


Les grandes oubliées - Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, Titiou Lecoq, Collection Proche, 2023.
Les grandes oubliées - Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, Titiou Lecoq, Collection Proche, 2023.

La société patriarcale, un système d’organisation sociale et politique où le masculin incarne à la fois le supérieur et l'universel, a historiquement cantonné les femmes à des rôles domestiques, maternels et subalternes. L’accès aux strates supérieures du pouvoir, du savoir et de la création était tour à tour restreint ou interdit selon les époques et les lieux. Les institutions et les lois ont pu contribuer à réduire les possibilités d’action et les leviers d’influence des femmes. Malgré ces limitations, de nombreuses femmes ont œuvré et lutté pour dépasser les conditions fixées pour elles. Certaines demeurent dans les mémoires collectives et ont pu intégrer ces domaines reconnus et valorisés, mais la plupart d’entre elles sont tombées dans l’oubli. Y compris au sein des figures d’exception, le nombre de femmes historiques citées dans les enquêtes d’opinion, dans les livres d’histoire ou dans les médias paraît relativement faible, eu égard à l’épaisseur des temps. Titiou Lecoq explique que "si le patriarcat l'emporte, c'est parce qu'il porte dans son essence même le fait d'écraser les autres régimes, de réduire à l'impuissance l'altérité". Cela correspond avec les dynamiques d’effacement des femmes du fait des biais sexistes répandus dans les sociétés.


Pourtant, la demande collective pour une histoire “avec les femmes” est forte. Cela n’est pas exactement une histoire “au féminin”, mais plutôt l’ambition de questionner leurs existences dans les sociétés passées. Ce paradigme peut supposer des approches très variées, aux perspectives immenses : l’analyse des statuts sociaux, juridiques, symboliques, l’étude des organisations des activités et des modes de sociabilité, la critique des discours et des représentations culturelles, l’observation des dynamiques d’inclusion et d’exclusion, de la cohérence des logiques de participation politique… Toutefois, ce que l’on observe dans les champs médiatiques et scolaires, c’est que l’écriture et la diffusion de l’histoire accordent une place marginale à ces thématiques. Dans les programmes d’enseignement, elles constituent une parenthèse, voire des dossiers à part dans des cas bien précis, et non pas une grille de lecture globale et systémique de compréhension d’un ensemble social majeur. Cela s’explique par le fait que les récits historiques ont le plus souvent été écrits par des hommes, minimisant les contributions des femmes.


Cette affirmation pourrait laisser entendre que ce n’est que le fruit d’un malheureux concours de circonstances. Ce qu’il est crucial de saisir, c’est que l’omission des femmes est le fruit d’une volonté politique et correspond à des cycles d’avancées et de régressions. Il ne faut donc pas s’imaginer un mouvement récent de réhabilitation de l’action des femmes ; elles ont toujours agi, créé, écrit, milité, transmis, mais elles ont été confrontées à des formes d’invisibilisation organisées par les milieux de pouvoir et de savoir, ce qui constitue un processus volontaire et conscient, selon Titiou Lecoq. Cette rhétorique, qui peut paraître conspirationniste (“un groupe d’hommes complote pour invisibiliser les femmes à leur profit”), doit se comprendre comme la sédimentation d’un lent accomplissement social, à la croisée d’une misogynie conjoncturelle et de conceptions structurelles du monde. Dans l’histoire, les périodes généralement jugées plus favorablement comme l’Antiquité grecque et romaine ainsi que la Renaissance sont des périodes de plus grande oppression et d’effacement des femmes, tandis que le Moyen Âge, réputé plus difficile, a pu proposer davantage de place pour les femmes. Ce qui semble paradoxal est en réalité cohérent si l’on postule que l’histoire est construite d’après un prisme masculin prétendument objectif ; les périodes dans lesquelles l’autorité masculine est plus solidement établie sont donc estimées plus positivement. De même, encore de nos jours, “l’impuissance apprise (ou acquise)” tend à entretenir la passivité et l’infériorité des femmes, y compris en enseignant les progrès de la condition féminine, toujours inachevés. Pour pallier cela, transmettre les luttes pour les droits collectifs et individuels, approcher systématiquement chaque enjeu historique par le rôle joué par la moitié de l’humanité, encourager la reconnaissance mémorielle et favoriser l’émergence de nombreuses figures de référence sont autant de moyens de combattre pour l’égalité réelle et contre l’oublioir dans lequel les femmes sont rejetées.


Pour que l’histoire avec les femmes ne soit pas qu’une évolution cosmétique et périphérique des programmes scolaires et du champ historique, il est essentiel d’entretenir cette visibilité et de favoriser la reconnaissance et la transmission plus larges des contributions des femmes. L’historienne Michelle Perrot, préfaçant l’ouvrage, rappelle à toutes fins utiles que “ce qu’on ne raconte pas n’existe pas. Ce qui n’est pas, à un moment ou à un autre, objet de récit, objet d’histoire, n’existe pas. Le déni d’histoire est une forme de dénégation”. Ainsi, faire émerger les histoires disparues permet de lutter contre cette dynamique d’invisibilisation et de nourrir une connaissance plus complète du passé. En ce sens, le travail de l’association Mnémosyne, qui a pour but le développement de l’histoire des femmes et du genre en France, ainsi que la parution d’ouvrages grand public, permettent à toutes et à tous de se saisir de ces problématiques.


Pour aller plus loin : 


Mentrification : comment l'histoire efface les femmes”, France Inter - Zoom zoom zen, décembre 2024.




Site Internet de l’association Mnémosyne.


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