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LES ÉTATS BOURGUIGNONS (1363-1477) - Réussite et déclin d'une principauté pendant la Guerre de Cent Ans (I)

18/12/2021

        « Père, gardez-vous à droite ! », « père, gardez-vous à gauche ! »… ces mots peuvent sembler habituels dans le contexte d’une bataille : aider son père ou un proche quelconque est une preuve de courage primordiale, particulièrement au Moyen Âge. C’est justement une telle attitude qui donna naissance à l’une des principautés ayant le plus marqué l’histoire médiévale européenne : les États bourguignons.

 

        Quelques années après la bataille de Poitiers, qui vit le roi Jean II être capturé par les Anglais dans le contexte de la guerre de Cent Ans, naissent officiellement ceux qui seront plus tardivement appelés les « États bourguignons ». En 1363, le roi de France félicite son jeune fils Philippe de son courage observé sept ans plus tôt en lui offrant le duché de Bourgogne. Son statut n’a rien à envier à un apanage : il appartient entièrement à Philippe et ne doit pas revenir à la couronne. Le nouveau duc est progressivement connu comme « Philippe le Hardi », en mémoire de ses actions sur le champ de bataille, alors qu’il n’avait que 14 ans. L’historiographie conserve ce surnom pendant des siècles, et c’est encore ainsi que nous désignons ce duc aujourd’hui.

Ces États bourguignons, progressivement, s’étendent, tant en influence qu’en superficie territoriale. Des territoires sont gagnés, la puissance du duc s’accroît, et bientôt, c’est tout une culture qui réunit ces États et son personnel. On pourrait parler sans mal d’« État dans l’État », avec un gouvernement autonome, dirigé par des hommes descendant directement d’un roi de France de la lignée des Valois, au pouvoir en France de 1328 jusque 1589. 

 

         La première pierre significative de l’édifice imposant que deviennent, avec le temps, les États bourguignons, est le mariage de Philippe le Hardi avec Marguerite de Flandre, en 1369. Elle apporte au duc un héritage conséquent : s’ajoutent aux possessions bourguignonnes initiales les comtés de Bourgogne, d’Artois et de Flandre, entre autres. Les terres du duc s’étendent alors vers le Nord.

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Figure 1 : Descendants du roi de France Jean le Bon, dans L'Histoire, n° 489, novembre 2021, p. 37
La politique bourguignonne au tournant du XVe siècle

         Progressivement, cet « État dans l’État » commence à déranger. Les nombreuses acquisitions territoriales de Philippe, permises en partie par sa politique matrimoniale, donnent le pouvoir et le prestige nécessaires au duc pour rivaliser avec le roi lui-même – qui est par ailleurs son neveu. Philippe et ses frères tiennent le « vrai » du gouvernement à la place de Charles VI, absent psychologiquement en raison des crises de folie qui l’assaillent depuis 1392. À l’aube des années 1400, un objectif est prégnant : être le plus influent au sein du conseil royal, et donc à terme, contrôler l’État et ses finances. Les luttes incessantes entre Philippe et le frère de Charles VI, Louis d’Orléans, constituent déjà les prémices de ce qui se cristallise dès 1407 en une guerre civile entre ceux qu’on a appelés les « Armagnacs » et les « Bourguignons » après l’assassinat du duc d’Orléans par Jean Ier de Bourgogne, dit « sans Peur », qui a succédé à son père le Hardi en 1404.


       Sans avoir la prétention de qualifier l’idéologie politique des Bourguignons comme étant révolutionnaire ou originale, elle était toutefois suffisamment importante pour provoquer de nombreux ralliements de Français du royaume. Le Manifeste des frères de Bourgogne (1405) constitue une belle synthèse de la politique des ducs de Bourgogne. Ce texte met en avant certaines idées, en opposition à la ligne directrice de la politique suivie par le parti royal français. Tandis que les ducs de Bourgogne dénoncent le dysfonctionnement du gouvernement français, particulièrement en ce qui concerne les impôts et, corollairement, l’oppression des peuples, le gouvernement de Charles VI s’attache à mettre en place un État moderne. Le médiéviste Bernard Guénée distingue trois tendances opposées : la coutume, le contrat et la loyauté chez les Bourguignons, face à la loi, la justice et l’obéissance chez le roi. Ces deux cultures opposées sont un pas supplémentaire vers la rupture entre la cour de France et les Bourguignons. Elles sont aussi la preuve du talent politique des ducs de Bourgogne, qui portent une attention particulière aux revendications du peuple et savent de quels discours user pour convaincre un certain nombre de sujets du royaume.

De nouveaux gains territoriaux, le prestige, puis l’effondrement

         Les États bourguignons continuent, avec le temps, de s’étendre. Sous Jean sans Peur, la guerre civile favorise l’acquisition de nouveaux territoires : dans les années 1410, le Mâconnais, l’Auxerrois et le comté de Boulogne, renforçant son influence autour des terres bourguignonnes et, comme son père avant lui, vers le Nord.


Sous le successeur et fils de Jean, Philippe le Bon, duc de 1419 à 1467, l’apogée territoriale des États est proche. Le duc acquiert en 1433 les comtés de Hainaut, de Hollande et de Zélande : l’intérêt suscité par les régions du Nord est incontestable.

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Figure 2 : Carte des possessions de la maison de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles, dans L'Histoire, n° 489, novembre 2021, p. 35

Le Luxembourg lui est cédé en 1441 contre une rente annuelle de 7 000 florins. Ces possessions (et on aurait pu en citer encore bien davantage) posent un certain problème à l’empereur du Saint-Empire : c’est en effet en majorité sur ses terres que Philippe constitue son empire, au sens territorial du terme. Par conséquent, les relations entre les deux hommes sont parfois tendues. Reste que Philippe le Bon est, dans les années 1450, le prince le plus riche et plus puissant d’Europe, bien davantage que le roi de France, auquel il ne doit plus prêter hommage depuis 1435, ainsi qu’il avait été convenu au traité d’Arras.


Charles le Téméraire, qui succède à Philippe en 1467, a des ambitions encore plus affirmées que celles de ses prédécesseurs. Il obtient la Lorraine en 1475 et parvient à lier ses « pays de par deçà et de par-delà », laissant la possibilité de la reconstitution de l’ancienne Lotharingie se concrétiser durablement, mais la situation politique compliquée de cette décennie et la propre politique menée par Charles précipitent son déclin. Il meurt au combat près de Nancy, en janvier 1477. Durant les années qui suivent, les États sont progressivement démembrés, particulièrement par le roi de France Louis XI. Cette principauté ne reste plus qu’un souvenir dont beaucoup retiennent principalement le règne complexe et tourmenté de Charles le Téméraire.

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Figure 3 : Augustin Feyen-Perrin, Charles le Téméraire retrouvé après la bataille de Nancy, 1865
Conclusion

        Des questions restent sans réponse : comment les États bourguignons, pourtant si importants et déterminants dans la géopolitique de l’Europe de la fin du Moyen Âge, ont-ils pu s’effondrer si rapidement ? Il a fallu moins de dix ans à un duc pour mettre à mal l’œuvre constituée au fil des décennies par ses prédécesseurs. De même, comment qualifier ces immenses possessions, et que traduisent-elles réellement sur la période de la guerre de Cent Ans ? Nous ferons en sorte de répondre à ces interrogations avec un nouvel article, la semaine prochaine, qui s'interrogera davantage sur le devenir des États bourguignons et sur leur originalité.

Alison Leininger-Cuenot

Pour aller plus loin

LECUPPRE-DESJARDIN Élodie. Le royaume inachevé des ducs de Bourgogne (XIVe-XVe siècles), Paris, 2016.
LECUPPRE-DESJARDIN Élodie. « Le royaume inachevé », dans L’Histoire, n° 489, novembre 2021, p. 32-41.
SCHNERB Bertrand. L’État bourguignon (1363-1477), Paris, 1999.

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