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Triste anniversaire au Liban

01/09/2020

Le 1er septembre 1920, le général français Henri Gouraud, Haut-Commissaire du mandat sur la Syrie et le Liban, proclame officiellement l’indépendance de l’Etat du Grand-Liban : indépendance inédite pour ce petit pays aux frontières nouvelles. Mais alors pourquoi la France a-t-elle participé à la création du Liban ?

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I- Une relation historique

Charles de Gaulle déclarait à propos des Libanais qu’ils étaient « le seul peuple dont jamais le cœur n’a cessé de battre au rythme du cœur de la France ». Si la relation entre la France et le Liban est historique, cela concerne davantage la petite communauté religieuse, essentiellement implantée au Liban, les maronites. Cette communauté chalcédonienne est apparue au IVème siècle dans l’actuelle Syrie puis s’est développée durant le Vème siècle. Il faut attendre néanmoins la première croisade pour avoir une hypothétique rencontre entre les maronites et les Francs. Guillaume de Tyr explique alors dans ses chroniques que les chrétiens du Mont-Liban sont venus guider et aider les croisés. Guillaume de Tyr les décrit ainsi : « [Les maronites] étaient des hommes forts, très habiles en armes et très utiles aux nôtres dans les importantes affaires qu’ils avaient très fréquemment avec les ennemis ». A travers l’aide aux croisés, les maronites reprennent également les relations avec Rome et la papauté, cette reprise des discussions étant marquée de légendes et d’informations qui ne sont pas toutes vérifiées scientifiquement. C’est notamment le cas de la lettre de Saint-Louis aux maronites, qui aurait été écrite le 24 mai 1250 afin d’exprimer l’amitié du roi de France aux chrétiens du Liban, lettre qui a depuis été contredite par les Historiens.

Il ne faut donc pas seulement voir la genèse de la relation franco-maronite durant les Croisades. A mon sens, les Capitulations signées en 1536 marquent véritablement la volonté diplomatique du Royaume de France de protéger et de venir en aide aux Chrétiens d’Orient (chrétiens résidant temporairement ou de manière permanente dans les pays non-chrétiens). Cela est d’autant plus facile pour les maronites puisque ces derniers bénéficient d’une certaine autonomie. De plus, la communauté chrétienne est la seule à reconnaître Rome, elle est donc bien cette « rose au milieu des épines » qui demande toute l’attention de Rome, mais également de la France. Le 28 avril 1649, Louis XIV réaffirme la protection du Royaume : « […] Nous prenons et mettons par ces présentes signées de notre main, en notre protection et sauvegarde spéciale, le Révérendissime Patriarche et tous les prélats, ecclésiastiques et séculiers chrétiens maronites qui habitent le mont Liban […] ». Nous retrouvons ce genre d’échange sous Louis XV puis à la suite de la Révolution française avec le Consulat.

La relation franco-maronite est-elle seulement de correspondance ? Non. Plusieurs actes de sympathie et de collaboration sont menés, notamment par les consuls sur place mais aussi par les congrégations religieuses, françaises ou non. Cependant, la France s’illustre en 1860 lors du massacre des maronites par les druzes. Les druzes sont une communauté musulmane habitant également dans la Montagne. Elle est à la fois partenaire et concurrente des maronites, les relations entre les communautés étant particulièrement changeantes dans l’Histoire. Cependant, dès la moitié du XIXème siècle, les relations entre les deux communautés ne cessent d’être tendues : le système féodal druze est mal vécu par les maronites tandis que la réussite économique et l’augmentation démographique des maronites font jalouser la communauté druze. Les assassinats confessionnels augmentent jusqu’à la guerre civile en 1860. La France prend connaissance des violences et des massacres contre les maronites. Le ministre des affaires étrangères, Thouvenel, intervient afin de permettre une intervention française et une plus large autonomie aux maronites. Après de nombreuses négociations, le 3 août 1860, la France a le droit d’intervenir pour une durée temporaire avec un nombre de troupes restreint. Les soldats arrivent le 16 août à Beyrouth et sont particulièrement bien accueillis par les chrétiens. Si cette mission illustre bien la volonté française d’agir, c’est un échec militaire faute à une non-coopération des forces ottomanes. Le corps expéditionnaire effectue surtout des missions humanitaires auprès de la population maronite.

II- La Première Guerre mondiale comme facteur décisif

Le 29 octobre 1914, la Sublime Porte déclare la guerre à la Triple Entente et met un terme aux Capitulations et donc à la protection des Chrétiens d’Orient. Les diplomates français, mais aussi les missionnaires, sont alors priés de quitter Beyrouth et le Mont-Liban afin de retourner en France. François Georges-Picot, consul de France à Beyrouth, demande à son homologue américain de veiller sur ses bureaux et notamment ses papiers. En effet, dans ses correspondances, de nombreux Libanais lui affirment leur fidélité à la France. Malheureusement, les troupes ottomanes menées par Djemal Pacha arrivent à obtenir les documents français et exécutent de nombreux Libanais sur la place des Canons à Beyrouth, devenue place des Martyrs ensuite. On dit que les condamnés criaient : « Vive la France » avant d’être pendus. La violence contre les Libanais ne s’arrête pas puisque Djemal Pacha décide d’organiser un blocus sur la Montagne libanaise, bloquant ainsi l’importation de denrées alimentaires. Rapidement, les Libanais meurent de faim. Environ un tiers de la population serait morte durant la famine de 1916.

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Pendant ce temps, dès 1915 et le ralliement du Hedjaz, Français et Britanniques négocient les futures frontières d’Orient. Ces négociations menées par deux diplomates, François Georges-Picot (oui, encore lui) et Mark Sykes, incluent également l’Empire russe. Ils délimitent alors des zones sous influence européenne directe et des zones sous influence indirecte dominées par les Arabes. L’accord Sykes-Picot de 1916 a donc pour objectif de « combler » les demandes nationalistes arabes. En effet, le Chérif Hussein de la Mecque a accepté d’entrer en guerre contre l’Empire Ottoman à la seule condition que les Européens lui permettent, à lui et à ses fils, une indépendance en Orient. La Grande-Bretagne accepte, la France est plus réticente.

Menée par les troupes arabes et britanniques, l’Entente arrive à percer l’Empire Ottoman en Orient. Les combats sont particulièrement violents et longs, notamment en Mésopotamie. Pourtant, le 11 décembre 1917, le général Allenby, accompagné de Louis Massignon et de François Georges-Picot, entre à Jérusalem en vainqueur. En octobre 1918, Fayçal, fils d’Hussein, accompagné des Britanniques, entre dans Damas. Ces victoires conduisent à l’armistice de Moudros, le 30 octobre 1918 mais inquiètent surtout les Français qui ne souhaitent pas être retirés de la région et veulent que les accords Sykes-Picot soient appliqués. Cependant le retrait de l’Empire russe, l’entrée en guerre des Etats-Unis marquée par la volonté de Wilson de permettre l’autodétermination des peuples, mais surtout l’absence française des combats en Orient, constituent des arguments décisifs pour les Britanniques.

III- Un nationalisme victorieux face aux échecs chérifiens

En janvier 1919 s’ouvre la Conférence de la Paix à Paris. Les vainqueurs doivent se décider sur un grand nombre de questions et de règlements afin d’éviter de nouveaux conflits à l’avenir. Les frontières des anciens territoires ottomans constituent un des points importants. Tour à tour, les différents courants nationalistes s’expriment et font part de leurs doléances. Ainsi, l’émir Fayçal, accompagné de T.E Lawrence, rappelle que les territoires sont déjà unis, particulièrement développés, et ne nécessitent pas de collaboration d’une nation étrangère. Dans le cas où l’indépendance est impossible, ils souhaitent que le mandat soit exercé par la Grande-Bretagne. Les Libanais défendent aussi leur autonomie en envoyant trois délégations à la Conférence de la Paix, dont la seconde est menée par le Patriarche maronite Elias Houayek. Ils revendiquent un territoire libanais large afin d’avoir une suffisance alimentaire et une viabilité économique (port de Beyrouth). Dans le cas où le Grand-Liban ne serait pas grand, cela serait alors un « mort-né ». En novembre

1919, Henri Gouraud est nommé Haut-Commissaire de la République en Syrie et au Liban. Cette nomination satisfait les maronites et leur patriarche, qui s’exprime dans une correspondance à l’ambassadeur français à Rome : « Dans un pays foncièrement religieux, comme le nôtre, le général Gouraud ne peut être qu’un exemple vivant par ses vertus chrétiennes ». Ce dernier ne se présente cependant pas comme un chrétien mais plutôt comme un « descendant des Croisés, nous sommes les fils de la Révolution, épris de liberté et de progrès, respectueux de toutes les religions et formellement résolus à assurer une justice égale aux adeptes de chacun ».

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Malheureusement pour le nationalisme libanais, Georges Clemenceau cherche d’abord à permettre les discussions avec les chérifiens. Il entame à deux reprises des négociations avec Fayçal, d’abord menées par Robert de Caix en avril 1919, puis par Louis Massignon à la fin d’année 1919, menant aux accords du 6 janvier 1920. La volonté du gouvernement Clemenceau est donc de permettre la continuité de la politique des Capitulations (dite politique de la majorité) afin de sauvegarder les minorités. Ainsi, alors qu’il négocie l’indépendance syrienne sous l’autorité de Fayçal, il exprime au patriarche maronite le 10 novembre 1919 la promesse d’un gouvernement autonome et d’un statut national indépendant au Liban, sans pour autant en donner les futures frontières.

Pourtant, à partir du 6 janvier 1920, la situation se dégrade pour les Arabes avec notamment l’échec présidentiel de Clemenceau, remplacé par Alexandre Millerand qui n’aura ni la patience ni la volonté de respecter les vœux arabes. En mars 1920, le Congrès syrien déclare Fayçal souverain de Syrie, ce qui conduit à davantage de tensions avec les européens. De plus, le 26 avril 1920, la clôture de la conférence de San Remo officialise les mandats français sur la Syrie et le Liban ainsi que les mandats britanniques sur la Palestine, la Transjordanie et la Mésopotamie. Les tensions ne cessent donc pas jusqu’au 24 juillet 1920 lorsque les troupes françaises entrent dans l’Anti-Liban et écrasent les Hachémites à Khan Mayssaloun.

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Cette victoire française est également une victoire libanaise puisqu’elle permet, le 1er septembre 1920, la proclamation du Grand-Liban par Henri Gouraud. Ce dernier avertit les Libanais : « Vous avez des devoirs à remplir. Le premier de tous, le plus sacré : l’union, qui fera votre grandeur comme les rivalités de races et de religions avaient fait votre faiblesse. Le Grand Liban est fait au profit de tous. Il n’est fait contre personne. Unité politique et administrative, il ne comporte d’autres divisions religieuses que celles qui orientent la conscience de chacun vers des croyances et des pratiques qu’il considère comme des devoirs sacrés qui ont droit à ce titre au respect de tous ».

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Conclusion

Les Français ont donc créé le Grand-Liban devenu Liban, ils ont renouvelé le système politique confessionnel, héritage des Ottomans aujourd’hui vivement critiqué. Mais ce cadeau en est-il vraiment un ? Pour Gérard D. Khoury, la création du Liban manifeste le privilège de la communauté chrétienne et sera un poison pour les chrétiens. De plus, les tensions communautaires qui étaient déjà fortes à cette époque ne vont faire que s’accentuer, répondant à des enjeux régionaux voire internationaux.

Pour conclure, je citerai Maxime Weygand, Haut-Commissaire du Liban de 1923 à 1924 : « Les chrétiens imaginent qu’ils ont une revanche à faire valoir tandis que les musulmans n’entendent pas avoir moins de droit que l’autre communauté ». Gouverner ce Liban, est-ce gouverner le religieux ?

Pierre CZERTOW

A l'occasion de cet article, nous vous proposons de voir ou revoir la conférence intitulée "Comment le Liban est devenu un Etat en 1920 ?" qui a eu lieu dans le cadre du Printemps de l'Histoire géographie.

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