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Les routes de la soie, une autre histoire de la mondialisation

11/05/2022

Les routes de la soie constituent un ensemble de réseaux terrestres et maritimes, développés dès l’Antiquité et reliant la Chine et les marges orientales de la Méditerranée. Elles ont constitué un axe structurant de l’histoire des échanges humains jusqu’à l’époque moderne ; leur importance se voit confirmée par l’utilisation de cette même appellation par les responsables politiques chinois contemporains.

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Ce nom est donné par le géographe prussien Ferdinand von Richthofen au XIXe siècle, pour désigner toutes ces routes commerciales eurasiennes, par lesquelles transitent de nombreux produits de luxe, dont la précieuse soie.

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Une caravane de commerce sur l'île du Pharaon (Égypte), lithographie de Louis Haghe d'après David Roberts, Library of Congress, 1839.

L'ouverture au commerce de la Chine dès l'Antiquité
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Femmes de la dynastie Song inspectant un rouleau de soie, XIIe siècle, peint sur soie (Museum of Fine Arts de Boston).

Les extrémités de ces routes de l’Orient relient, grosso modo, la Chine aux territoires situés dans la Corne de l’Afrique et près du golfe du Bengale ; c’est assez tardivement que les Romains s’inscrivent dans ces réseaux (à partir du IIe siècle de notre ère). Le commerce transasiatique par voie terrestre est notamment permis par les circulations au sein de l’empire parthe (autour de l’Iran actuel), héritier des Achéménides et des Séleucides.

Il ne s’agit pas d’une route directement tracée entre Chang’an (Xi’an actuelle en Chine) et Petra (Jordanie) mais d’un réseau composite, possédant de nombreuses ramifications, irriguant notamment la Perse, l’Inde ou encore les vallées et montagnes de l’Asie centrale. Les marchandises parcourent des milliers de kilomètres mais les marchands eux-mêmes ne réalisent que de brèves portions de ces routes ; ils s’arrêtent dans les oasis et caravansérails où ils échangent leurs produits, et repartent vers leur ville d’origine.

Dès le troisième millénaire avant J.-C., la Chine est pionnière dans la sériciculture ; pendant de nombreux siècles, la fabrication de soie est un secret bien gardé et il s’agit de l’œuvre des femmes chinoises. Son commerce se fait dans un premier temps au sein des limites de l’empire chinois. À partir du IIe siècle avant J.-C., la Chine s’ouvre aux échanges commerciaux avec les régions de l’Asie centrale et du sud, pour faire face aux incursions des Xiongnu, tribus nomades venues du nord (par ailleurs, c’est pour cela que l’empire chinois entreprend la construction de la Grande Muraille).

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Chameau bâté et son chamelier, époque Tang, fin du VIIe siècle, musée Guimet, Paris.

Des itinéraires densément fréquentés à l'époque médiévale mais soumis aux aléas géopolitiques

L’essor et la chute de différents empires terrestres jouent un rôle décisif : les périodes de domination des Sassanides, des califats islamiques, des Mongols puis des Ottomans représentent autant de variations de l’ouverture ou de la fermeture des circulations d’est en ouest. En plus des réseaux terrestres, il ne faut pas oublier le dynamisme des échanges maritimes en Asie du sud, entre Chine, Océan Indien, Arabie et Afrique de l’Est.

Ce faisceau d’itinéraires est crucial dans l’intensification des échanges humains, qu’il s’agisse des marchandises et produits de grande valeur (fortifiant le goût pour l’exotisme venu de « l’Orient » chez les Européens, dès l’Antiquité romaine), mais aussi des circulations culturelles, intellectuelles et religieuses. De nombreuses « inventions » (la boussole, la poudre à canon, l’imprimerie) se transmettent par les routes de la soie, de même que les religions qui pénètrent dans des sphères d’influences nouvelles (au point que l’on a pu parler de « routes de la foi »).

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Carte issue de l’Atlas des mondes asiatiques, L’Histoire, N°402, août 2014.

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Détail d’une carte représentant la route de la soie empruntée par Marco Polo (Atlas catalan, manuscrit enluminé sur parchemin, 1375).

Basculements stratégiques et révolutions à l'ère moderne
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Un marché sur la route de la soie, peinture de HongNian Zhang, 2008.

À partir de l’époque moderne, la Chine entre dans une période d’autarcie, verrouille ses frontières terrestres et diminue les échanges avec les autres peuples. Pour accéder aux produits de luxe de l’Asie, faisant face à l’empire ottoman, les Européens choisissent l’exploration et la conquête maritimes vers l’Atlantique, initiant un basculement significatif dans l’histoire de la mondialisation.

Les routes entre Orient et Occident ont varié avec les siècles et notamment avec la progression de l’empire russe vers l’est. Les steppes de Sibérie, autrefois aux mains des sociétés turco-mongoles, sont conquises par les Russes à partir du XVIIe et deviennent un nouveau corridor pour les circulations commerciales. La composition globale du commerce évolue sensiblement avec la Révolution industrielle et de nouvelles ressources sont au centre des convoitises.

Dans le monde contemporain, le mythe des routes de la soie reste puissant ; en effet, l’idée d’unifier les peuples par le commerce et par une communauté d’intérêts est réactivée à l’automne 2013 par le dirigeant chinois Xi Jinping. Par ce moyen, ce dernier souhaite établir l’hégémonie commerciale et politique de la République Populaire de Chine dans la mondialisation d’aujourd’hui et de demain, en bâtissant un réseau gigantesque d’infrastructures dans l’espace eurasiatique et même au-delà.

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Le réseau Belt and Road Initiative, une réactivation des historiques routes de la soie.

Les routes de la soie ont joué un rôle majeur dans la construction de l’histoire du monde et des échanges, depuis l’Antiquité et jusqu’à nos jours. En effet, les échanges diplomatiques eurasiatiques ont longtemps transité par cet axe privilégié, tandis que bien des empires terrestres ont prospéré et disparu dans la région ; l’économie a été profondément marquée par les ressources et fluctuations du marché de ces routes de l’Orient. Au niveau social et culturel, les religions, idées, langues, sciences et les humains ont circulé dans de multiples directions et ont contribué à des influences mutuelles subtiles et innombrables. Un concept géopolitique aussi puissant constitue désormais la priorité assumée de la Chine contemporaine, qui vise à en faire le « projet du siècle ». Le XXIe, un « siècle asiatique » ?

Pierre SUAIRE

Pour aller plus loin :

 

BRUNEAU Michel, « La relation continentale eurasiatique dans le longue durée: de la "Route de la soie" aux "Nouvelles Routes de la soie" et aux corridors », Bulletin de l'Association de Géographes Français, 2019.

FRANKOPAN Peter, Les Routes de la Soie: L'histoire du cœur du monde, Flammarion, 2019.

ROUIAÏ Nashidil, « Routes de la soie, nouvelle route de la soie », Géoconfluences, septembre 2018.

SCHNEIDER Pierre, « Les Routes de la soie dans l’Antiquité : une brève histoire des connexions Orient-Occident (IVe siècle avant notre ère-VIe siècle de notre ère) », Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique, 2022.

« Sur les routes de la soie », France Culture, émission Entendez-vous l’éco, 11 février 2019.

« Routes de la soie, de la Chine ancienne à la vallée du Gange », France Culture, émission Le Cours de l’histoire, 28 mars 2022.

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