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La Ve République : origines, fonctionnement et dysfonctionnement 

Hugo VINCKEL

Le 4 décembre 2024, le gouvernement de Michel Barnier a été censuré, une première depuis 1962 ; depuis, le gouvernement de François Bayrou semble aussi tout aussi fragile. Cette censure, révélateur de la crise politique qui secoue le pays depuis juin 2024, est l’occasion de revenir sur la Ve République, ses origines et son fonctionnement. 


Les origines de la Ve République ou la quête de l’homme « providentiel » 


Pour bien comprendre la mise en place de la Ve République, il faut revenir sur le contexte de l’après-guerre. Le 27 octobre 1946, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la IVe République est instituée. Il aura fallu deux référendums pour que cette IVe République naisse. Elle fait suite au Gouvernement Provisoire de la République présidé par le général De Gaulle. La IVe République repose à peu de choses près sur les mêmes principes que ceux de la IIIe, c’est-à-dire un régime parlementaire. Le Parlement dispose donc du pouvoir législatif, celui de faire les lois. Le Président du Conseil, lui, émane du Parlement. Il est nommé par le Président de la République. Le Président du Conseil doit être investi de la confiance de l’Assemblée nationale et nomme ensuite les ministres. La IVe République doit faire face à d’immenses défis, comme la reconstruction du pays, les débuts de la Guerre Froide ou encore la décolonisation, cette dernière précipitant sa chute. Seulement, un problème se pose. En effet, le Parlement a le pouvoir de faire démissionner un cabinet par le vote de confiance. Cette instabilité va beaucoup fragiliser les institutions, se révélant incapables de surmonter les différentes crises, avec près de 18 gouvernements entre 1946 et 1958.


En réalité, cette situation politique n’est pas une nouveauté puisque la IIIe République est aussi connue pour son instabilité, qui provoquera de grandes crises (le coup de force de 1934, la défaite de juin 1940). Cette instabilité est due au fait qu’aucun groupe politique ne parvient à avoir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Pour pouvoir maintenir un gouvernement, il faut donc des alliances entre partis politiques au prix de compromis. Ces alliances sont d’autant plus fragiles qu’il faut faire face à partir de 1954 aux débuts de la guerre d’Algérie. La République semble incapable de remettre de l’ordre. À partir de mai 1958, les militaires prennent les choses en main. Le 13 mai 1958, des généraux entrent dans le Gouvernement général à Alger, en plein guerre. Ce bâtiment est le symbole de l’autorité du gouvernement de la République en Algérie. Un comité de salut public est mis en place par le général Massu. Le pouvoir civil et militaire est alors confié au général Salan. Ce putsch en Algérie laisse les populations de la métropole dans la peur puisque des rumeurs laissent penser que des parachutistes vont s’emparer des lieux de pouvoir. Il faut attendre le 29 mai pour que le président de la République, René Coty, nomme au gouvernement un homme fort, le général De Gaulle. En réalité, ce sont les généraux qui ont poussé De Gaulle à l’action en faisant pression sur le gouvernement. Cela ressemble à un coup d'État organisé par l’armée, mécontent de la situation en Algérie et de l’instabilité. C’est la stature du général, appelé par René Coty, qui légitime le coup d’État. 


Le général De Gaulle à la tribune de l'Assemblée nationale, Le Figaro © Archives de l'Assemblée nationale, 1er juin 1958.
Le général De Gaulle à la tribune de l'Assemblée nationale, Le Figaro © Archives de l'Assemblée nationale, 1er juin 1958.

Le 1er juin, De Gaulle fait une brève déclaration à l’Assemblée nationale avec un vote de confiance qui sauve les apparences. 329 députés sont pour l’investiture du général De Gaulle, 224 contre, parmi lesquels des hommes forts de la gauche française, comme Pierre Mendès France ou encore François Mitterrand. De Gaulle est alors le dernier président du Conseil de la IVe République. Il forme alors un gouvernement d’union nationale allant de la SFIO au MRP tout en excluant le PCF. Le 4 septembre 1958, De Gaulle présente publiquement son projet de Constitution et le soumet par référendum le 28 septembre. C’est un immense succès puisque 82% des français l’approuvent. Seulement, c’est relativement ambigu. Cette approbation allait-elle envers le régime constitutionnel en lui-même, à l’homme qui l’avait voulu ou encore au maintien de l’Algérie française ? La Constitution est alors promulguée le 4 octobre 1958 et il faut 4 mois de transition pour passer de la IVe à la Ve République. 


Le fonctionnement de la Ve République 


La Ve République repose sur une séparation des pouvoirs classique : le pouvoir exécutif au Gouvernement, le pouvoir législatif à l’Assemblée nationale et au Sénat, le pouvoir judiciaire aux magistrats. La grande innovation de cette Ve est celle du rôle du Président de la République. De Gaulle, depuis 1946, a toujours voulu un exécutif fort qui permet de trancher les conflits et de résoudre des crises politiques et institutionnelles. Il prend le contre-pied de la IIIe et de la IVe République où le Président de la République n’avait pas un pouvoir aussi conséquent. Le Président de la République sous la Ve doit donner une orientation claire au pays. Seulement, c’est la théorie ; en réalité, la pratique du pouvoir peut être différente selon le président et sa personnalité. Même si le rôle principal est au Président, celui-ci ne gouverne pas directement, l’initiative politique est au gouvernement et à son chef, le Premier ministre. Le Premier ministre, l’équivalent du Président du Conseil sous la IIIe et IVe République, est nommé par le Président de la République. Le Premier ministre, en concertation avec le Président, doit former un gouvernement pour mener à bien le programme du Président. Si le Premier ministre est certes nommé par le Président, il est responsable devant le peuple, donc devant le Parlement. Ce principe - être responsable devant les représentants de la Nation - est très proche des systèmes de la IIIe et IVe République. L’équilibre global change surtout à partir de 1962, lorsque le Président de la République est élu au suffrage universel direct. Il peut ainsi apparaître comme l’émanation de la volonté politique de la Nation, mais cela est à nuancer. Autre spécificité, le Président dispose de deux outils pour régler une crise politique. Premier outil, il peut dissoudre l’Assemblée nationale ; second outil, il peut soumettre une loi au référendum, avoir l’avis du peuple. Ces deux mesures permettent donc au Président de la République d’être le garant de la stabilité politique du pays.


Deux autres innovations montrent l’évolution de la Ve République. La plus importante sans doute, celle de l’élection du Président de la République par le suffrage universel direct à partir de 1962. Avant 1962, seul le Parlement a la possibilité d’élire le Président de la République. Seulement, depuis 1958, le rôle du Président à considérablement changé. En étant élu par tous les Français, le Président de la République voit sa légitimité grandement renforcée en comparaison des députés qui représentent seulement un fragment de la population française. Seconde innovation, le mode de scrutin des élections législatives. Le scrutin à la proportionnelle laisse place au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Le mode de scrutin à la proportionnelle est une élection à un tour qui donne le plus de sièges au parti qui fait le meilleur score. Ce scrutin possède un grand avantage : il permet de mieux refléter l’opinion du pays. Il possède toutefois un grand désavantage, en fragmentant l’Assemblée. Il arrive souvent qu’aucune majorité ne se distingue et laisse le pays dans l’instabilité. Pour y remédier, le scrutin majoritaire uninominal est une élection qui se déroule dans chaque circonscription du pays, à deux tours, le candidat qui fait le plus de voix au second tour face à son adversaire est élu député. Ce sont en quelque sorte des mini-élections présidentielles partout en France. Ce mode de scrutin ne reflète pas pleinement l’opinion des Français puisque le score du candidat arrivé deuxième ne compte pas alors qu’il représente un segment important de l’électorat, mais il permet de dégager une plus large majorité. Seulement, depuis la présidence de Jacques Chirac et la réforme de 2000 sur le quinquennat présidentiel, les élections législatives suivent presque directement les élections présidentielles, ce qui « fausse » les résultats des législatives par la dynamique enclenchée par la victoire du candidat à l’élection présidentielle.


Le Premier Ministre Lionel Jospin et le Président de la République Jacques Chirac lors de la cohabitation dominée par le gouvernement de la gauche plurielle (1997-2002), Service audiovisuel de la Commission européenne, septembre 2001.
Le Premier Ministre Lionel Jospin et le Président de la République Jacques Chirac lors de la cohabitation dominée par le gouvernement de la gauche plurielle (1997-2002), Service audiovisuel de la Commission européenne, septembre 2001.

Le gouvernement sous la Ve République n’est pas pour autant intouchable. En effet, il existe deux manières de faire tomber un gouvernement. Il faut d’abord rappeler que les députés ont le pouvoir de sanctionner la politique du gouvernement. La première manière de faire tomber un gouvernement, c’est de ne pas voter le vote de confiance qui se fait généralement lors du discours de politique générale. La tradition veut que le Premier ministre qui commence ses fonctions se soumette au vote des députés. Seulement, les quatre derniers Premiers ministres n’ont pas souhaité se plier au vote de confiance. En effet, s’il y a un vote de confiance et que la majorité des députés ne la vote pas, alors le gouvernement tombe. Deuxième manière, c’est par une motion de censure. Cette motion de censure peut être déposée lors de l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution, qui prévoit de passer un budget sans le vote des députés. Les groupes parlementaires peuvent aussi déposer une motion de censure mais elles sont limitées dans le temps. Il faut avoir au minimum 289 députés qui votent la motion pour faire tomber le gouvernement. Seulement deux motions de censure ont abouti à la censure sous la Ve République : en 1962 pour la révision constitutionnelle pour changer l’élection du président le République au suffrage universel, puis en décembre 2024 lors de l’utilisation du 49.3 pour faire passer le budget 2025. Ces motions de censure sont des désaveux clairs de la politique du gouvernement. Un gouvernement sanctionné d’une motion de censure oblige dès lors le premier ministre à présenter sa démission au Président. Seulement, le président peut contourner cette motion de censure en dissolvant l’Assemblée, comme ce fut le cas en 1962. Le Président De Gaulle a dissous l’Assemblée, permettant ainsi de surpasser la démission initiale du premier ministre de l’époque, Georges Pompidou. 


Comment sortir de la crise politique ? 


Près de sept mois après la dissolution du 9 juin 2024, consécutive aux élections européennes, la crise politique semble toujours plus patente. Les motivations de cette dissolution semblent encore floues mais on peut imaginer qu’elle ait pour origine la volonté du Président Emmanuel Macron de vouloir élargir sa majorité, fragile à ce moment-là. Le président a sans doute parié que la gauche partirait désunie lors des élections et que la crainte d’un gouvernement Rassemblement National, alors grand vainqueur du scrutin européen, oblige les électeurs à choisir le camp présidentiel. Seulement, cela a eu l’effet inverse. La peur du RN oblige dès lors la gauche à s’unir malgré les lourds différends entre LFI et le PS par exemple. Le 7 juillet, lors des résultats, l'Assemblée est encore plus fracturée qu’en 2022, la gauche rassemblée obtient 182 députés, le camp présidentiel 168 et le RN et ses alliés 157. Aucune coalition ou parti n’arrive à avoir la majorité requise de 289 pour gouverner, malgré le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Aucun Premier ministre semble échapper à la censure, sauf en cas d’accord de non-censure, comme c’est actuellement le cas avec le PS avec le gouvernement de François Bayrou. Seulement, aucune initiative politique claire ne semble être possible. Le gouvernement est obligé de négocier avec chaque parti pour éviter la censure, ce qui à pour effet de bloquer l’initiative politique du Premier ministre, ce qui semble laisser présager une certaine forme d’immobilisme.


Pour sortir de la crise politique, certaines solutions sont mises en avant selon les partis politiques. LFI réclame la démission du Président qui, d'après le mouvement, n’a pas respecté les résultats des élections en ne nommant pas de Premier ministre de gauche. La solution sur un fil qui semble se dessiner est celle d’un accord de non-censure et d’une renégociation de la réforme des retraites, réforme phare du début de quinquennat du second mandat d’Emmanuel Macron. En réalité, au lieu de réclamer des mesures sur le court terme, il faudrait revoir plus en détail le fonctionnement et les équilibres de la Ve République. Le pouvoir assez personnel d’Emmanuel Macron fragilise grandement le régime, qui assure pourtant la stabilité du pays depuis près de 75 ans. Il faut dès lors revoir en profondeur la Ve République. Une plus grande importance du Parlement dans les affaires politiques est envisageable. Le Parlement ne doit pas être simplement un outil aux mains du pouvoir exécutif pour voter les lois, mais bel et bien un lieu où le centre de gravité de la politique française doit se retrouver. Le scrutin à la proportionnelle semble être aussi nécessaire. Le scrutin majoritaire à deux tours ne prend pas en compte une partie de l’opinion, mais si toutes les opinions sont au Parlement, cela favorise les débats et les discussions dans l’intérêt du pays. La démission du Président semble ne pas être une solution. Si un autre président est élu, il ne pourra pas mettre en place sa politique du fait que l’Assemblée ne dispose pas de majorité. Il faut attendre au moins juin 2025 pour de nouveau dissoudre l’Assemblée, pour un résultat des plus incertains.




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