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La violence dans la société médiévale

24/11/2021

Une croyance populaire veut que la société du Moyen Âge était violente, sanglante, et que l’on n’y connaissait pas la paix. Cette idée d’un « âge obscur » se substitue souvent à la réalité historique. Il ne faut pas non plus, à l’inverse, affirmer que cette époque n’était pas violente, mais plutôt offrir des pistes de réflexion pour rendre compte d’une vérité bien plus complexe que ce qui reste ancré dans un certain imaginaire collectif.

 

En fait, la norme médiévale n’est pas la violence mais la paix ; d’ailleurs, quand les médiévaux se battent, c’est pour atteindre la paix ; une conception qui peut étonner. De nombreuses structures sont mises en place pour sanctionner les formes de violence qui vont à l’encontre du droit, notamment les guerres privées, qui se poursuivent même après que le roi Louis IX décide de les abolir en 1245.

 

Arrêtons-nous un instant sur la question des traités, et plus particulièrement des trêves. Conclues à la suite d’un conflit, elles garantissent qu’aucun dommage ne sera infligé ni à l’une ni à l’autre des parties, pour une durée très variable – cette suspension des hostilités peut, en effet, durer quelques jours pour s’étendre jusqu’à des décennies. Le serment échangé entre les protagonistes doit constituer une garantie de respect de la trêve, mais des contraintes sont parfois également mises en avant : ainsi, des sanctions financières pourraient s’appliquer en cas de nouveaux faits de guerre.

Les arbitrages constituent une autre structure visant à permettre la paix. C’est une procédure fréquemment utilisée depuis le XIIe siècle pour la résolution des conflits, et qui passe par la nomination d’arbitres pour l’une et l’autre des parties. Le déroulé d’un arbitrage est relativement similaire à une audience judiciaire, dans la mesure où chacun expose les faits devant les arbitres. Plaignants et défendeurs confrontent tour à tour leur point de vue. Une enquête peut être menée, et, à terme, une sentence est décidée à l’unanimité. Une peine y est souvent attachée pour dissuader l’un ou l’autre de reprendre le conflit – une conclusion très similaire au fonctionnement des trêves.

 

Régulée, la violence ne reste pas impunie. On distingue notamment la « guerre juste » des autres conflits privés ou illégitimes, car il s’agit ici d’une guerre qui se conforme à certaines règles et qui suit une éthique précise. Avec le mouvement de la paix de Dieu qui trouve son origine au Xe siècle, l’Église impose sa vision de la chrétienté : les guerres doivent être menées par nécessité pour être légitimes. Cette nécessité sert comme argument primordial pour mener des guerres lorsqu’il est question de ramener des hérétiques à la foi catholique.

 

​Plus tard, à la fin du Moyen Âge, la guerre juste n’est plus seulement menée par nécessité ; elle l’est aussi pour le bien commun, c’est-à-dire qu’elle aurait pour vocation de protéger les plus faibles et de maintenir la paix, tout en suivant les intérêts du peuple. Un prince menant une guerre suivant ces principes est alors perçu comme un homme de vertu, ce qui est essentiel pour maintenir également une paix intérieure dans le royaume. Le roi doit ainsi se battre seulement s’il lui est nécessaire de le faire, et avec l’accord de tous – un idéal qui est, on le devine, difficilement respectable. Toutefois, le roi étant garant de l’unité, il doit savoir ce qu’il y a de mieux pour le royaume. Par conséquent, si une guerre est menée pour le bien commun, elle suscite souvent l’admiration de la part de la population.

 

Christine de Pisan, femme de lettres active au tournant du XVe siècle, a un point de vue plus strict : elle considère que toute guerre « injuste » est une guerre qui n’est pas menée à la demande du roi, ce qui rappelle que les guerres privées n’ont plus leur place au sein du royaume.

 

L’idée de déclin, en période de troubles, est souvent très prégnante. Ainsi, croit-on, pendant la guerre de Cent Ans, que ce conflit servira à purger les sociétés de tout mal afin de pouvoir retrouver une paix durable, dans un contexte complexe de violences, de pillages et de désordre social, tous ces éléments étant difficilement supportés par les populations. Cela constitue un bon exemple d’une guerre menée pour le bien commun.​

Un autre exemple de violence régulée, et sans doute le plus connu, est la vengeance : c’est la « faide ». Le Moyen Âge est une société où les piliers sont l’honneur et la loyauté ; aussitôt que l’honneur est atteint ou remis en question, un conflit peut rapidement prendre d’importantes proportions. Le « droit de faide » encadre ces guerres : il est interdit d’attaquer un adversaire sans prévenir (cela est contraire à l’honneur), et il faut prouver que le tort qui dit avoir été subi par la victime est bien légitime. En outre, cette vengeance ne s’inscrit pas dans un cercle vicieux ; au contraire, un conflit qui s’éternise pourrait porter préjudice à celui ou ceux qui l’ont instigué. Cette façon de se faire justice soi-même est d’ailleurs assez largement critiquée, surtout après l’interdiction théorique des guerres privées.

 

Au Moyen Âge, on se bat donc beaucoup, mais cette violence reste empreinte de valeurs que l’on doit suivre avec précaution. La guerre doit être évitée autant que possible. Un souhait finalement assez contemporain.

Alison Leininger-Cuenot

Pour aller plus loin :


BOURGEOIS Frank, « La théorie de la guerre juste : un héritage chrétien ? », in Études théologiques et religieuses, tome 81, 2006/4, p. 449-474
GAUVARD Claude, « De grace especial ». Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1991
MOEGLIN Jean-Marie (dir.), Diplomatie et « relations internationales » au Moyen Âge (IXe-XVe siècle), Paris, 2017
SCORDIA Lydwine, « Le roi doit avoir le cœur des sujets : réflexions sur l’amour politique en France (XVe siècle) », in H. Oudart  et al. (dir.), Le Prince, son peuple et le bien commun. De l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge, Rennes, 2013
TOUREILLE Valérie (dir.), Guerre et société (1270-1480), Neuilly-sur-Seine, 2013 

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