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De Cuba à l'Ukraine : 60 ans de menace nucléaire

10/11/2022

Le 6 octobre 2022, le président des États-Unis Joe Biden s’exprime lors d’une collecte de fonds à New-York : "Il existe, pour la première fois depuis la crise des missiles cubains, une menace directe d'utilisation d'armes nucléaires si les choses continuent de suivre la voie qu'elles empruntent actuellement". Cette phrase prononcée quelques jours avant l’anniversaire symbolique des 60 ans de la crise des missiles de Cuba démontre une réalité, celle de la peur d’une utilisation de l’arme nucléaire. Si le Japon est le seul pays de l’Histoire à avoir été frappé, à deux reprises, par une bombe nucléaire, les risques d’un conflit reposant sur l’emploi d’armes de destruction massive ont été bien réels à plusieurs reprises.

Les origines de l’arme nucléaire

Avant d’évoquer ces conflits, il me paraît important de comprendre comment fonctionne une arme nucléaire. Le terme “nucléaire” se réfère au noyau de l’atome, qui est à l’origine de ces explosions dégageant une puissance colossale. L’inspiration de la bombe nucléaire vient de la fameuse formule d’Albert Einstein E=mc², autrement dit : Énergie (en Joules) = Masse d’un objet (kg) multiplié par la vitesse de la lumière au carré, équivalent à (299.792.458 m/s)².

Dès lors, les scientifiques se sont rendus compte de l’énergie immense dégagée par la conversion de la masse en énergie. L’application militaire de cette formule a été rendue possible par deux principes physiques découverts en 1933 et 1942. Le premier est le concept de fission nucléaire: si un atome lourd est cassé en deux, il dégage une énergie considérable, mais il libère également des neutrons qui, à leur tour, fissionnent d’autres atomes lourds. Cela amène à l’autre concept de réaction en chaîne, réussi pour la première fois en 1942.

 

La toute première bombe atomique est une bombe A, dans laquelle, pour Hiroshima, deux blocs d’uraniums entrent en collision et engendrent ces réactions nucléaires, et cette explosion. La bombe A est améliorée par la suite, grâce au principe de fusion nucléaire d’atomes d’hydrogène, qui dégage aussi une très grande énergie. Dans cette “bombe H”, l’explosion d’une bombe A est contenue assez longtemps pour faire fusionner, grâce à la chaleur, ces atomes d’hydrogène. La RDS-202, dite “Tsar Bomba”, est la plus puissante bombe H qui n’ait jamais été conçue, son explosion a produit une chaleur ressentie à plus de 300 kilomètres, et le flash de l’explosion a été perçu à plus de 1 000 kilomètres.

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Initialement, ces explosions sont conduites grâce à des bombes larguées par avion, puis peu à peu, les ogives nucléaires sont placées dans des missiles lancés depuis le sol. À partir de la fin des années 1950, l’URSS produit en grand nombre des missiles SS-4 et SS-5, de moyenne portée (entre 1 000 et 3 000 kilomètres). Des missiles dits “balistiques” car ayant une trajectoire en dehors de l’atmosphère et influencée par son orbite autour de la terre.

La crise des missiles de Cuba

Au moment où l’URSS développe ces missiles, le nouveau gouvernement révolutionnaire cubain de Fidel Castro et Ernesto “Che” Guevara, s’installe à la suite de la chute de Fulgencio Batista, le 31 décembre 1958. Les contre-révolutionnaires cubains exilés aux États-Unis sont formés par la Central Intelligence Agency (CIA), et renvoyés à Cuba sous forme d’une invasion terrestre, avec le débarquement de la Baie des Cochons, le 17 avril 1961. Ce débarquement étant un échec, l’URSS renforce son soutien au régime cubain, seul régime communiste du continent américain, et qui plus est, proche des États-Unis. D’autant plus que de nombreux incidents ont fissuré la fragile accalmie des relations entre États-Unis et URSS. En effet, le 1er mai 1960, un avion de reconnaissance américain U-2 est abattu par la défense antiaérienne soviétique alors qu’il photographiait des sites de lancement de missiles en Sibérie. Les soviétiques ont récupéré l’avion et emprisonné le pilote, libéré plus tard contre un espion soviétique. Également, dans la nuit du 12 au 13 août 1961, la ville de Berlin est séparée en deux par un mur. Ces évènements mettent fin à la période de relative paix entre l’URSS et les États-Unis, à l’image du voyage officiel du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev aux États-Unis, en septembre 1959.

Malgré ses dénégations, Nikita Khrouchtchev déploie des missiles SS-4 et SS-5 à Cuba, pouvant atteindre les états du sud des États-Unis. Ceci, dans l’objectif de protéger Cuba, de mettre une pression sur les États-Unis, et pour réagir au placement d’une quarantaine de missiles nucléaires Jupiter américains en Turquie et en Italie. Des mouvements et des anomalies sont détectés par les États-Unis à Cuba dès l’été 1962, mais le 14 octobre 1962, un avion U-2 photographie clairement les sites de lancement à Cuba, et dans les jours qui suivent, 26 navires soviétiques sont détectés en approche de Cuba.

Le président John Kennedy réagit en embarquant 40 000 soldats américains sur des navires de l’US Navy pour bloquer l’accès aux Caraïbes, et 100 000 hommes sont mobilisés en Floride, en préparation d’une éventuelle riposte sur Cuba. Dès lors, les américains demandent le repli des navires et le désarmement de Cuba, tandis que l’URSS rejette ces demandes et exige la levée du blocus. C’est ainsi que la “diplomatie nucléaire” s’enclenche, avec des menaces de riposte nucléaire si les exigences de l’une ou de l’autre partie ne sont pas satisfaites. Le 24 octobre, plusieurs navires soviétiques font demi-tour, et le 26 octobre Nikita Khrouchtchev laisse entendre qu’il est ouvert aux discussions. Il propose qu’en échange du retrait des missiles de Cuba, les États-Unis ne tentent pas d’envahir Cuba, et doivent également retirer les missiles Jupiter d’Italie et de Turquie.


Mais les photographies et le renseignement démontrent que les missiles soviétiques sont prêts à s’envoler vers les États-Unis, et une date limite pour le désarmement est donné au 29 octobre, sous la menace d’un bombardement des sites de lancement. Finalement, un accord est trouvé, le 20 novembre 1962, les missiles sont retirés de Cuba, les Jupiter d’Italie et de Turquie, et un téléphone dit “rouge” est mis en place entre Washington et Moscou, afin de régler les conflits par la discussion plutôt que par la diplomatie nucléaire.

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Photographies des sites de lancements de missiles soviétiques à Cuba
De la crise des euromissiles aux menaces nucléaires en Ukraine

À l’issue de ce conflit, s'ouvre une période de “détente” où les relations s’apaisent, et divers accords sont signés pour limiter les arsenaux nucléaires. Mais lorsque Ronald Reagan devient président des États-Unis, une nouvelle crise nucléaire a lieu sur le sol européen. En réponse à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 et l’installation de nouveaux missiles soviétiques en Europe de l’Est, les dépenses militaires américaines augmentent afin de rattraper ce déséquilibre nucléaire en Europe. Les doctrines militaires sur l’arme nucléaire évoluent : les soviétiques l’utiliseraient en offensive et en frappes préventives, afin d’occuper l’Europe en 8 jours. Les États-Unis installent donc des missiles Pershing afin de rééquilibrer l’arsenal nucléaire en Europe et d’agir en dissuasion. En 1983, la tension nucléaire redevient très élevée, car dans la nuit du 25 au 26 septembre, un système d’alerte soviétique détecte 5 tirs de missiles américains, mais la riposte n’a pas été déclenchée, car l’officier de garde a considéré cela comme un dysfonctionnement, ce qui a été confirmé.

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Missile Jupiter sur son site de lancement

Toujours en 1983, l’exercice Able Archer de l’OTAN vise à entraîner les pays membres à une attaque nucléaire sur l’URSS. Les soviétiques détectent des mouvements anormaux de troupes en Europe de l’Ouest et déclenche les premières étapes de la riposte nucléaire. Toutefois, les allemands préviennent rapidement le dirigeant Yuri Andropov de l’exercice. Le 13 mai 1984, un stock de munitions soviétiques explose à Severomorsk, l’OTAN les détecte et craint une attaque, avant que l’hypothèse ne soit abandonnée. Les tensions s’apaisent de 1984 à la chute de l’URSS en 1991, et aucun autre incident ou crise nucléaire aussi grave n’a lieu jusqu’en 2022.

Le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a déclaré le 21 septembre : "Nous utiliserons tous les moyens à notre disposition pour défendre la Russie. Ce n’est pas du bluff ". Depuis l’invasion de l’Ukraine débutée le 24 février 2022, la Russie a souvent menacé de l’utilisation d’une arme nucléaire, dès le début du mois de mars, lorsque les premiers équipements militaires occidentaux parvenaient à l’armée ukrainienne. Depuis la fin de l’été 2022, la menace nucléaire a franchi un nouveau palier. Lors de 4 référendums tenus dans les oblasts ukrainiens occupés de Kherson et Zaporijjia et les Républiques populaires de Donetsk et Lougansk, ces territoires ont tous été rattachés au territoire de la Fédération de Russie le 30 septembre. Ce rattachement signifie que les combats qui ont lieu sur ces territoires sont des offensives sur le territoire russe, et donc, susceptible de déclencher une riposte nucléaire. D’autant plus que la Russie a annoncé un tir réussi du missile RS-28 Sarmat, plus connu sous le nom de “Satan 2”, pouvant détruire un territoire grand comme la France. Furtif et se déplaçant à une vitesse allant jusqu’à 7km/s, il échapperait à tous les systèmes anti-missiles et radars. Cette peur permanente fait partie de la politique de la terreur de la part de la Russie, mais divers experts restent sceptiques face à ces menaces.

John CORTON

Pour aller plus loin :

FRANC Claude, « La crise des missiles de Cuba (14-28 octobre 1962) (T 1433) », Revue Défense Nationale, 14 octobre 2022.
 

PAOLINI Jérôme. Histoire d'une négociation. In: Politique étrangère, n°1 - 1988 - 53ᵉannée. pp. 27-46.
 

TERTRAIS Bruno, L’arme nucléaire. Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2008, ISBN : 9782130564973. DOI : 10.3917/puf.tertr.2008.01. URL : https://www.cairn.info/l-arme-nucleaire--9782130564973.htm

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